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LA SICILE.

gevins qui n’avaient pas été tués, cherchaient à fuir de tous côtés. Une seule issue était ouverte ; mais les Siciliens qui la gardaient, renouvelant ce que les Hébreux avaient fait pour distinguer les Éphraïmites, à qui ils faisaient dire le mot de Shibboleth, et les Anglais, dans l’insurrection de Wat-Tyler, qui reconnaissaient les étrangers à la façon dont ils prononçaient bread et cheese, les Siciliens n’ouvraient la porte, qu’après avoir entendu le mot ciceri, prononcé par ceux qui demandaient à passer. C’était la mort pour tous ceux qui le prononçaient avec l’accent angevin, et, à Palerme, pas un Français, dit-on, ne survécut à ces vêpres terribles.

L’exemple donné par Palerme fut suivi dans toute la Sicile. Les Palermitains eux-mêmes formèrent trois troupes, qui s’en allèrent, l’une à Cefalù, l’autre à Enna, et la troisième à Calatafimi, pour exciter les habitans au massacre des Français. À Calatafimi seulement, on excepta du massacre général un Provençal, nommé Guillaume Porcelet, qui s’était gagné tous les cœurs par sa bonté. On l’embarqua pour Marseille. Ce fut le seul Français qui se sauva.

Cette terrible catastrophe des vêpres siciliennes, qu’il serait impossible de justifier, même en alléguant les excès des dominateurs, eut cependant un avantage pour la Sicile, il faut bien l’avouer. La nation sicilienne se trouva réunie dans cette entreprise ; les grands et le peuple se rapprochèrent et s’entendirent à l’aide de Jean de Procita, et il y eut dès ce moment une époque remarquable par l’énergie nationale qui se manifesta jusqu’à la régente Blanche, sous laquelle les nobles s’emparèrent de toute l’autorité et écrasèrent de nouveau le peuple. La domination de la dynastie aragonaise, qui commença après les vêpres siciliennes, vit les derniers temps de la splendeur sicilienne. Quand Alphonse, fils de Ferdinand d’Aragon, et roi de Sicile, fit la conquête de Naples, l’annexe, qui était Naples, devint bientôt la résidence des souverains, et la Sicile, gouvernée par des vice-rois, fut réduite de nouveau à l’état d’un pays de conquête.

Ce fut, en quelque sorte, la rénovation de l’époque arabe ; car les Espagnols, à peine sortis eux-mêmes des mains des Maures, avaient conservé leurs mœurs, leurs goûts, et presque leur costume. Aussi la Sicile, par son génie national et par son sang, appartient-elle plus à l’Espagne qu’à l’Italie, et tout ce qu’ont créé les Normands et les Lombards a été, en quelque sorte, étouffé par ces deux civilisations, arabe et espagnole, qui ont exercé une si grande influence à deux époques de son histoire. Ajoutez que les Sarrasins et les Juifs, qui étaient aussi alors une sorte d’Orientaux, n’avaient pas cessé d’habiter