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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

ouvrages. Les parcs et les domaines du château comprennent un espace de trente milles au moins de circonférence ; ces parcs et ces domaines du château d’Argyle peuvent rivaliser avec les plus beaux parcs anglais ; et, chose rare en Écosse, les arbres y sont aussi vigoureux que ceux des parcs de Windsor, de Kenilworth et de Warwick. Quelques-uns même, comme le tilleul qu’on a nommé l’arbre du mariage, à cause d’une singularité que présente son embranchement, peuvent être mis au nombre des plus beaux arbres de toute l’Angleterre.

Walter Scott, dans la Légende de Montrose, décrit en fort beaux vers le paysage d’Inverary, qu’il proclame l’un des plus pittoresques que puisse offrir la nature, et des plus romantiques de l’Écosse. L’Ary, qui dans son cours forme plusieurs belles cascades, les chutes de Carlonan et de Lenach-Gluthin entre autres, traverse les domaines du duc d’Argyle, et, de distance en distance, des collines agrestes, dont quelques-unes atteignent à une hauteur de sept cents pieds, s’élèvent comme autant d’observatoires naturels d’où l’œil embrasse tout le pays.

Une charmante route, qui remonte la rive droite de l’Ary, conduit en quelques heures d’Inverary à Port-Sonachan, sur le Loch-Awe. Le Loch-Awe est un vaste bassin d’eau douce comme le Loch-Lomond ; comme ce lac, il est semé d’îles nombreuses, et dominé, vers sa partie septentrionale, par une énorme montagne, le Ben-Cruachan, qui s’élève à trois mille trois cent quatre-vingt-dix pieds de hauteur. Sur les îles et les promontoires du lac on voit les ruines de plusieurs châteaux, dont le plus considérable est Kilchurn-Castle. Ce château fut bâti en 1440 par Cailen-Uaine, ou Colin-le-Vert, l’un des chefs des Campbell et des ancêtres des Breadalbane que défit le fameux Donuilnan-Ord, Donald-du-Marteau, dont Walter Scott nous a raconté l’histoire.

La navigation du Loch-Awe est des plus dangereuses, surtout dans sa partie nord-ouest, qui s’appelle Pool-Awe. Nous avions pris à Port-Sonachan une petite barque non pontée, qui devait nous déposer au pied du Ben-Cruachan, sur la route de Dalmally à Bunawe. Nous étions arrivés aux deux tiers de la distance que nous avions à parcourir, et nous sortions du groupe d’îles couvertes de broussailles qui semblent la continuation du promontoire de Kilchurn, quand tout à coup nous entendîmes un bruit singulier dans la montagne. Le ciel était serein ; seulement quelques petits nuages roux, venant de l’ouest, passaient rapidement sur nos têtes.

— Hâtons-nous, s’écria le plus vieux de nos deux rameurs, Ben-Cruachan commence à gronder ; nous pourrons recommander notre âme à Dieu si avant une demi-heure nos pieds ne reposent pas sur le plancher des chèvres. — Le bruit se fit entendre de nouveau, et le ciel commença à s’obscurcir du côté de la mer ; nos deux rameurs n’ajoutèrent pas une parole, mais, courbés sur leurs rames, ils faisaient voler le canot vers le point de la côte où nous comptions débarquer. Dans ce moment le bruit sourd que nous entendions depuis un quart d’heure devint plus distinct, et il fut facile de reconnaître le mu-