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trois heures de route, nous nous fûmes rendus à la magnifique ruine du château de Dunstaffnage. De la pointe de rochers sur laquelle le château est bâti, aux îles de Lismore et de Kerrera, la mer ne présentait qu’une vaste nappe d’écume d’où sortaient quelques îlots sombres et une multitude de rocs noirs formant de redoutables écueils au milieu desquels il semblait impossible qu’une barque ne se perdît pas ; et en effet pas une voile ne se montrait à l’horizon.

On m’avait raconté tant de merveilles du château de Dunstaffnage, ce berceau de la monarchie écossaise, que j’étais impatient de visiter ses ruines. Elles rappellent, mais sur une échelle beaucoup plus grande, les débris de tous ces nombreux châteaux qui s’élèvent au sommet de chaque éminence et sur chaque promontoire du duché d’Argyle. Une partie de ses murs m’a paru avoir une grande analogie avec les restes de la muraille d’Adrien (Grahame’s-Dyke). Je serais donc fort disposé à croire que cette résidence des premiers rois du pays fut, dans le principe, une forteresse romaine. Le château, dont les murs extérieurs sont seuls restés debout, couvrait un grand espace de terrain ; sa forme était un carré long, flanqué de tours rondes à ses angles, comme le palais d’Holyrood, à Édimbourg ; la porte principale du château s’ouvrait du côté de la mer. Les chefs ou rois des tribus galliques de l’ouest habitèrent le château de Dunstaffnage jusqu’au milieu du IXe siècle. Dans l’année 843, Kennet, fils d’Alpin, roi de l’Albanie occidentale ou des Galls et des Scotts, ayant soumis les Pictes, habitans de la plaine, les mangeurs de pain, comme les montagnards les appelaient par dérision, déserta le pays natal, et, abandonnant la vieille forteresse de Dunstaffnage, fixa son séjour dans ce pays, où croissaient les moissons, et que, naguère, méprisaient ses ancêtres. Scone et Dumferline devinrent les capitales des Scots, et Kennet fit transporter dans la première de ces deux villes la pierre sacrée sur laquelle les rois des îles et des montagnes de l’ouest montaient le jour de leur couronnement. Debout sur cette pierre, de sept pieds carrés environ, le nouveau roi qu’allait sacrer l’évêque d’Argyle, assisté de sept prêtres, jurait, en brandissant l’épée royale, de conserver à chacun ses droits et de rendre à tous bonne justice. Cette cérémonie avait lieu en présence de tous les grands chefs des îles et du continent, réunis et assis en cercle sur des siéges taillés dans le roc. La pierre de Dunstaffnage, le plus simple de tous les trônes, resta à Scone jusqu’au XIIIe siècle. À cette époque, le roi d’Angleterre Édouard Ier, ayant conquis l’Écosse à l’aide de ces archers qui, montrant leurs douze flèches, disaient qu’ils portaient douze Écossais dans leurs trousses, s’empara de la fameuse pierre, et la fit transporter à grands frais dans l’église de l’abbaye de Westminster, où on la voit encore aujourd’hui, et sur laquelle le roi d’Angleterre s’assied encore le jour du couronnement. Si la conservation de la pierre royale de Dunstaffnage n’avait rien d’extraordinaire, celle des ornemens et attributs de la royauté (regalia), jusqu’au commencement du dernier siècle, était beaucoup plus merveilleuse, surtout quand on songe aux nombreuses guerres et