Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

plés aussi d’une foule innombrable d’oiseaux marins que l’arrivée des harengs avait sans doute attirés dans ces parages. Les plaines, comme les collines et le rivage, avaient leurs habitans ; c’étaient de jolis oiseaux à tête jaune, qu’on appelle en Écosse hope clover, l’espérance du trèfle, et qui habitent les endroits où le gazon est le plus touffu.

Nous venions de quitter le rivage de la mer, et nous passions le long d’un pré où paissaient quelques vaches noires, et qu’entouraient de tous côtés de petites collines couvertes de bruyères. Comme nous admirions la magnifique verdure de la petite prairie, le plus vieux de nos deux guides nous apprit que c’était le domaine des Mac-Gills, qui devaient cette prairie à la bravoure et à l’agilité d’un de leurs ancêtres, dont le guide nous raconta l’histoire telle que nous la rapportons ici.

Mac-Neil, le laird de Barra, avait épousé une veuve, lady Mac-Lean, à qui son premier mari avait laissé pour domaine l’île de Coll, cette belle île que vous voyez là-bas, à l’horizon, du côté de l’ouest, nous disait le guide. Lady Mac-Lean avait eu de son premier mari un fils qui s’appelait Jean Gerves, ou Jean-le-Géant. À la mort de sa mère, Jean Gerves résolut de rentrer dans la possession de ses domaines de Coll, que Mac-Neil avait gardés. Il rassembla quelques aventuriers sur la côte d’Irlande, où il s’était réfugié, et à leur tête il fondit sur l’île de Coll. Mais cette première tentative fut malheureuse ; les aventuriers lâchèrent pied, et Jean Gerves fut repoussé. Il ne se découragea cependant pas ; au bout de trois ans, il rassembla de nouveau une cinquantaine d’hommes déterminés, et il se rendit sur la côte de Morvern où son oncle l’attendait. En débarquant, Jean Gerves apprit que son oncle venait d’être fait prisonnier par Mac-Leod, l’allié de Mac-Neil, et qu’il était enchaîné dans un coin de sa tente. Jean Gerves cacha sa petite troupe aux environs de la tente, ne prit avec lui qu’un de ses soldats, appelé Mac-Gill, sur le courage duquel il pouvait compter, et, le laissant hors de la tente, il lui donna l’ordre de frapper à grands coups de claymore à l’endroit où il verrait la toile remuer ; puis, sans hésiter, il se précipita seul dans la tente, sa lance à la main. Son intention était d’attaquer Mac-Leod corps à corps et de le pousser vivement contre la toile de la tente. Mais celui-ci, effrayé, n’essaya même pas de lutter et s’enfuit, laissant au pouvoir de Jean Gerves, son prisonnier, ses armes et ses trésors.

Jean Gerves ne perdit pas de temps ; renforcé de l’appui de son oncle et des hommes de son clan, il s’embarqua pour Coll. Comme il descendait sur une plage écartée, il vit une sentinelle qui s’élançait en courant du haut d’un rocher où on l’avait placée, et qui se dirigeait de toute sa vitesse vers Grissipol, où Mac-Neil et ses gens étaient rassemblés, pour les avertir de l’arrivée de l’ennemi. Jean Gerves fut consterné en voyant cet homme s’enfuir : l’ennemi, qu’il comptait surprendre, allait donc se trouver sur ses gardes. Jean Gerves, avait dans ce moment à côté de lui Mac-Gill.

— Ne vous chagrinez pas, lui dit Mac-Gill ; si vous me permettez de me