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REVUE DES DEUX MONDES.

— Que faites-vous ici ? dit-il brusquement ; qui vous a autorisées à quitter votre poste ?

Les sœurs veulent s’expliquer.

— Pas d’excuses, s’écrie Leperdit ; les malades ont besoin de vos soins : votre prison, c’est l’hôpital ; là du moins vous êtes utiles à la patrie.

Puis, se tournant vers le geôlier, il le somme de relâcher ces deux femmes, et les reconduit, en grondant, à l’Hôtel-Dieu, où il les consigne. Les juges comprirent la leçon, et ne réclamèrent point leurs captives.

Nous avons déjà dit que la disette se faisait sentir à Rennes. Les royalistes, qui n’espéraient s’emparer de la ville qu’en semant la discorde parmi ses défenseurs, firent répandre le bruit que cette disette était entretenue volontairement par les membres de la commune, qui spéculaient sur les grains. La souffrance rend crédule ; le peuple, qui mourait de faim, s’assembla, et, excité par un misérable nommé Toinel, qui avait été deux fois condamné à la corde pour vols de vases sacrés, il se rendit sur la place de la commune, demandant le maire avec des cris menaçans. Leperdit paraît au balcon et veut parler ; mais on ne lui en laisse pas le temps.

— Du pain ! du pain ! s’écrie la foule exaspérée.

— Je n’en ai point.

— Ta vie alors.

— Je vais vous l’apporter.

Il quitte la fenêtre pour descendre ; ses amis essaient de le retenir.

— Non, dit le tailleur, leur fureur va croissant ; il faut que je l’apaise par mes paroles ou par mon sang.

L’officier qui commande dans l’intérieur de l’hôtel-de-ville déclare alors qu’il défendra le maire au péril de ses jours, et ordonne à ses soldats de charger leurs armes.

— Que fais-tu, citoyen ? s’écrie Leperdit ; j’ai fait serment de mourir pour le peuple, et non de le faire mourir pour moi. Reste ici, je sortirai seul. On ne tue pas si vite que tu le crois un honnête homme. D’ailleurs, ne vois-tu pas que je suis armé ? j’ai mon écharpe.

Il descend alors et se présente à la foule. À son aspect, on recule, et il y a un moment d’hésitation. Mais Toinel et quelques misérables apostés par lui recommencent leurs cris. La fureur se rallume ; le tumulte augmente, et les pierres commencent à voler. Leperdit, atteint au front, chancelle. À la vue de son sang qui coule, le peuple s’arrête, épouvanté de ce qu’il vient de faire. Il y a un instant de silence.