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LA TERREUR EN BRETAGNE.

laquelle il avait tout sacrifié, était perdue pour long-temps, sinon pour toujours. Aussi sa vieillesse fut-elle triste, désenchantée. Que de fois je l’ai vu assis sous les tilleuls de la Place aux Arbres, les yeux tournés vers ce grand édifice du Présidial, où il avait siégé aux plus terribles jours de la révolution ! Ah ! sans doute qu’en contemplant ce théâtre de tant de nobles angoisses, de généreuses espérances et de sublimes dévouemens, d’amères pensées descendaient dans son ame ! Sans doute qu’il se demanda plus d’une fois à quoi avaient servi tant d’efforts, et si le travail des nations n’était pas, comme celui des enfans, une bruyante inutilité !

Du reste, les désenchantemens politiques de Leperdit ne changèrent rien à son caractère. C’était un de ces cœurs que l’aspect du mal attriste, mais ne peut endurcir. Sa mort fut digne de sa vie. Réveillé au milieu de la nuit par les cris au feu ! il court à l’incendie, se précipite dans les endroits les plus dangereux, et reçoit une blessure dont il ne s’aperçoit qu’au moment où le danger a cessé. On le rapporte mourant : pendant deux années, sa blessure s’aggrave et devient chaque jour plus inguérissable. Il ne fait entendre aucune plainte, ne donne aucun signe d’impatience, et ne songe qu’à ses enfans, qui l’entourent. Tout à coup l’un d’eux cesse de venir. Leperdit demande la cause de son absence ; on lui répond avec embarras qu’il est malade. Mais le jour même il apprend que la conspiration de Berton a été découverte ; il ne doute pas que son fils ne soit une des victimes. Cependant il garde le silence, il veut éviter à sa femme, à ses enfans, une explication qu’ils redoutent, et refoule sa douleur au fond de son ame. Pendant dix-huit mois, il s’informe chaque matin de la maladie de ce fils absent, et feint de croire ce qu’on lui répond. Enfin, quand l’heure suprême est venue, sûr de confondre la douleur qu’il va réveiller dans la douleur plus poignante que causera sa perte, il demande une dernière fois son fils. Tous baissent les yeux et gardent le silence.

— Ainsi, il est mort, murmura le vieillard… Je le savais… Que Dieu leur pardonne !

Ce furent les dernières paroles de cet homme, dont toute la vie s’était passée dans le combat à parer les coups qui pouvaient frapper les autres, sans jamais en porter lui-même. Les prêtres qu’il avait arrachés à la guillotine refusèrent de suivre son cercueil, et la ville qu’il avait administrée, défendue et sauvée, ne voulut point lui faire don d’une fosse dans son cimetière !!!! Il fallut en appeler à la générosité publique, quêter de quoi acheter six pieds de terre pour un