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REVUE DES DEUX MONDES.

Ignorans, Dieu le sait ! Ce que j’ai fait depuis
A montré clairement si j’avais rien appris.
Mais quelle douce odeur avait le réfectoire !
Ah ! dans ce temps du moins je pus manger et boire !
Courbé sur mon pupitre, en secret je lisais
Des bouquins de rebut achetés au rabais.
Barnave et Desmoulins m’ont valu des férules ;
De l’aimable Saint-Just les touchans opuscules
Reposaient sur mon cœur, et je tendais la main
Avec la dignité d’un sénateur romain.
Tu partageas mon sort, tu manquas tes études.

DURAND.

Il est vrai, le génie a ses vicissitudes.
Mon crâne ossianique aux lauriers destiné
Du bonnet d’âne alors fut parfois couronné.
Mais l’on voyait déjà ce dont j’étais capable.
J’avais d’écrivailler une rage incurable ;
Honni de mes pareils, moulu de coups de poing,
Je rimais à l’écart, accroupi dans un coin.
Dès l’âge de quinze ans, sachant à peine lire,
Je dévorais Schiller, Dante, Goëthe, Shakspeare :
Le front me démangeait en lisant leurs écrits.
Quant à ces polissons, qu’on admirait jadis,
Tacite, Cicéron, Virgile, Horace, Homère,
Nous savons, Dieu merci ! quel cas l’on en peut faire.
Dans les secrets de l’art prompte à m’initier,
Ma muse, en bégayant, tentait de plagier ;
J’adorais tour à tour l’Angleterre et l’Espagne,
L’Italie, et surtout l’emphatique Allemagne.
Que n’eussé-je pas fait pour savoir le patois
Que le savetier Sachs mit en gloire autrefois !
J’aurais certainement produit un grand ouvrage.
Mais, forcé de parler notre ignoble langage,
J’ai du moins fait serment, tant que j’existerais,
De ne jamais écrire un livre en bon français ;
Tu me connais ; tu sais si j’ai tenu parole.

DUPOMT.

Quand arrive l’hiver, l’hirondelle s’envole.
Ainsi s’est envolé le trop rapide temps