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REVUE DES DEUX MONDES.

Lorsque ton estomac criait : « Il est six heures ! »
J’ai dans ta triste main glissé, non sans regret,
Cinq francs que tu courais perdre chez Benazet.
Mais que fis-tu plus tard ? car tu n’as pas, je pense,
Mené jusqu’aujourd’hui cette affreuse existence ?

DUPONT.

Toujours ! j’atteste ici Brutus et Spinosa
Que je n’ai jamais eu que l’habit que voilà.
Et comment en changer ? À qui rend-on justice ?
On ne voit qu’intérêt, convoitise, avarice.
J’avais fait un projet… je te le dis tout bas …
Un projet !… mais au moins tu n’en parleras pas…
C’est plus beau que Lycurgue, et rien d’aussi sublime
N’aura jamais paru si Ladvocat m’imprime.
L’univers, mon ami, sera bouleversé.
On ne verra plus rien qui ressemble au passé ;
Les riches seront gueux et les nobles infâmes ;
Nos maux seront des biens, les hommes seront femmes
Et les femmes seront… tout ce qu’elles voudront.
Les plus vieux ennemis se réconcilieront,
Le Russe avec le Turc, l’Anglais avec la France,
La foi religieuse avec l’indifférence,
Et le drame moderne avec le sens commun.
De rois, de députés, de ministres, pas un ;
De magistrats, néant ; de lois, pas davantage.
J’abolis la famille et romps le mariage.
Voilà ! Quant aux enfans, en feront qui pourront.
Ceux qui voudront trouver leurs pères chercheront.
Du reste, on ne verra, mon cher, dans les campagnes,
Ni forêts, ni clochers, ni vallons, ni montagnes.
Chansons que tout cela ! Nous les supprimerons,
Nous les démolirons, comblerons, brûlerons.
Ce ne seront partout que houilles et bitumes,
Trottoirs, masures, champs plantés de bons légumes,
Carottes, fèves, pois, et qui veut peut jeûner ;
Mais nul n’aura du moins le droit de bien dîner.
Sur deux rayons de fer un chemin magnifique,
De Paris à Pékin, ceindra ma république.
Là, cent peuples divers, confondant leur jargon,