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peut s’attacher à son âge, à son exaltation, ne saurait le sauver d’un immense ridicule. Il n’y a pas d’empereur des Français parmi les arquebusiers de Thurgovie.

D’ailleurs M. Louis Bonaparte ne serait pas sans rencontrer, même dans sa famille, des prétentions rivales. N’a-t-il pas un oncle qui, à Londres, songe pour lui-même à l’empire ? L’ancien roi d’Espagne ne se considère-t-il pas comme le véritable successeur de l’empereur, en vertu des droits du sang ? Mais laissons ces chimères, et faisons des vœux pour que la famille des Bonaparte, qui a eu le périlleux honneur de compter parmi les siens un émule des César et des Charlemagne, sache échapper, par la sagesse de sa conduite, aux sévérités de l’opinion. Elle peut voir aujourd’hui si elle doit se féliciter de l’échauffourée de 1836 et du procès de 1838. Qu’a-t-elle gagné aux débats du 9 juillet ? L’accusation et la défense ont démontré, comme de concert, le néant du napoléonisme. Le procureur-général, M. Franck-Carré, avec cette modération élevée et judicieuse qui est un des caractères de son talent, et qui fait un heureux contraste avec les passions un peu déclamatoires du ministère public de la restauration, a été vraiment l’organe du bon sens général, quand il a soumis à une censure sévère les élémens et les illusions de ce qui s’appelle le parti napoléonien, et quand il a prononcé ces excellentes paroles : « Dans nos mœurs et dans nos lois, dans notre vie politique et dans notre vie civile, nous avons retenu de l’empire tous ses bienfaits ; et ce que nous avons répudié de son héritage, personne apparemment ne tenterait de nous l’imposer. » Ce n’est pas assez ; voici le défenseur de l’accusé ; voici l’orateur démocrate, M. Michel de Bourges, qui applique tous ses soins à faire voir qu’il n’entend pas couvrir de son patronage la cause perdue du napoléonisme, et qu’il n’est devant la cour que l’avocat du droit et de la légalité ; « je ne suis ici que pour les principes, » s’est-il écrié avec cette franchise véhémente qu’il sait si bien allier avec la plus profonde habileté ; et il ne s’est pas fait faute d’ajouter : « Si le prince revenait troubler son pays, il me trouverait le premier sur son passage. » Voit-on maintenant l’utilité et la portée du procès ? N’est-ce rien que cette réprobation unanime qui s’élève de toutes parts, que cette condamnation morale infligée par la raison de tous ?

Pour poser ainsi la question du napoléonisme devant le pays de la manière la plus explicite et la plus solennelle, le moment était favorable, et il a été judicieusement choisi. Jamais l’esprit public n’a été plus calme et mieux disposé à juger les choses dans leur vérité.