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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/28

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REVUE DES DEUX MONDES.

En effet, la jeune fille était vêtue en artisane du Morbihan. Nous nous jetâmes tous deux un regard curieux et interrogateur. Notre position était étrange : nous ne nous étions jamais vus ni parlé, et nous allions partir ensemble, au milieu de la nuit, elle charmante, moi jeune encore, et tous deux sans surveillans, sans compagnons, livrés à toutes les séductions qui naissent de la solitude, des hasards de la route et des dangers communs !

Mme Benoist nous arracha à notre examen réciproque en nous avertissant que le cabriolet nous attendait à l’entrée du faubourg. On pouvait s’être déjà aperçu de la disparition de Claire ; nous n’avions pas un instant à perdre. La jeune fille se jeta en pleurant dans les bras de sa protectrice.

— Du courage, enfant, dit-elle ; nous vivons à une époque où il faut être forte si l’on veut avoir droit de vivre ; gardez les pleurs pour des jours plus tranquilles.

Puis, se tournant vers moi :

— Je vous la confie comme ma fille, ajouta-t-elle ; maintenant, son honneur est le vôtre.

Elle nous embrassa tous deux. Je pris la main de l’enfant, qui tremblait, et nous fîmes un pas sur l’escalier. Trois coups frappés à la porte de la maison nous arrêtèrent.

— Ouvrez, criait-on, au nom de la loi !…

— C’est la voix de Pochole, dit Claire éperdue.

La citoyenne Benoist nous fit signe de rentrer ; on venait d’ouvrir en bas. J’eus à peine le temps de pousser la jeune fille derrière la porte entr’ouverte. Des soldats parurent presque immédiatement dans l’escalier.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda Mme Benoist avec un étonnement plein de naturel.

— Il y a, s’écria Pochole, que tu caches chez toi des aristocrates !

— Quelle plaisanterie !

— Tonnerre ! je ne plaisante pas. La petite Claire a disparu, et on t’a vue entrer chez ses tantes plusieurs fois aujourd’hui.

Caïus montra en ce moment sa tête de renard au milieu des gens armés qui remplissaient l’escalier.

— Il faut que tu nous livres cette petite, continua Pochole en frappant la muraille de son sabre nu, que tu nous la livres sur-le-champ ; sinon je fais démolir ta maison et je t’envoie étudier à la tour Le Bast les lois qui défendent de receler les émigrés.

— Doucement, doucement ! dit en écartant les soldats un homme