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beaucoup de disciples de la religion grecque, on reconnaît des tendances distinctes qui les placent, à leur propre insu, sous l’action de la Russie.

La France et l’Italie à leur tour sont entraînées l’une vers l’autre par des sympathies morales d’une grande puissance.

La Prusse, enfin, par l’activité de ses intrigues, par son prosélytisme commercial et protestant, par son administration éclairée et progressive, et par son despotisme intellectuel et presque libéral, semble aspirer à devenir le centre d’une nouvelle unité allemande et à déposséder graduellement l’Autriche de son rôle de chef de la nationalité germanique.

La situation présente de l’Autriche est donc autant compliquée de difficultés qu’autrefois elle était simple et facile ; pour elle, les périls sont partout, le présent est incertain, l’avenir sombre et menaçant. Voilà le secret de cette ardeur avec laquelle, depuis vingt-trois ans, la cour de Vienne se dévoue à la conservation de la paix générale ; elle ne peut plus faire aujourd’hui que des guerres défensives. Immobiliser en Europe les institutions, les évènemens, la pensée humaine et en quelque sorte le temps, tel est le miracle que voudrait pouvoir opérer la politique autrichienne. Ne l’en accusons point ; c’est la loi de sa situation. Mais l’habile ministre qui dirige ses destinées sait bien qu’il y a dans le cours naturel des choses une impulsion irrésistible que l’énergie des volontés humaines peut ralentir, mais arrêter, jamais. Un état qui ne pourrait vivre qu’à la condition d’être en paix perpétuelle avec tous ses voisins, aurait bientôt touché le terme de son existence. M. de Metternich a la timidité du caractère et celle que donnent l’âge et la crainte de compromettre le système qui a fait sa fortune politique : mais la nature lui a donné, au degré du génie, la sagacité et la pénétration. Une crise d’Orient doit lui apparaître inévitable et prochaine. Cette crise ne saurait être ni locale, ni partielle ; elle sera générale et européenne, et l’Autriche sera naturellement appelée, par les nécessités de sa position, à y remplir un rôle de premier ordre. Sa véritable mission, mission active, périlleuse et digne de sa grande puissance, c’est de maintenir dans leur intégrité et leur indépendance les forces centrales du continent, de les protéger contre les ambitions de la France et surtout de la Russie, de contenir l’un par l’autre ces deux grands corps, et de maintenir l’équilibre entre eux. Dans la question d’Orient, c’est la Russie qui est l’ennemie redoutable, menaçante : si elle s’empare une fois du cours du Danube, de la chaîne des Balkans et de Constantinople, elle en-