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AFFAIRES D’ORIENT.

plus facilement que des Anglais. En principe général, plus le continent aura de forces à opposer un jour aux escadres de l’Angleterre, plus il aura de moyens de briser sa dictature maritime et de remplacer sa législation despotique par un code plus en harmonie avec les droits et l’indépendance du commerce de toutes les nations.

La question d’Orient ne touche sérieusement la France que sous le point de vue de l’équilibre général. Il est évident que la destruction de l’empire ottoman et l’élévation sur ses ruines de la puissance russe amèneraient une perturbation complète dans tout le mécanisme du système européen. La Russie acquerrait un pouvoir tellement formidable, qu’elle mettrait tout en péril, l’indépendance de l’Allemagne d’abord, et bientôt après celle de tout l’Occident. La France, par sa force et sa haute civilisation, occupe, dans le midi de l’Europe, une véritable prééminence. Elle ne saurait demeurer indifférente ni passive en présence d’un débordement de forces qui, brisant toutes ses digues, pourrait finir un jour par l’atteindre elle-même.

On conçoit donc que, préoccupée de ce grave péril, dans l’intérêt de tous comme dans le sien propre, elle soit disposée à s’associer à un ensemble de combinaisons calculées d’abord pour contenir la Russie et prévenir la guerre, ensuite pour la combattre et lui arracher sa proie, dans le cas où les impatiences de son ambition et la marche des évènemens la détermineraient à s’en saisir. Mais ce système s’applique évidemment à deux ordres d’idées et de faits parfaitement distincts ; en réalité, il se subdivise en deux systèmes qui tendent au même but par des voies toutes différentes. L’un et l’autre se proposent la conservation de l’empire ottoman dans son intégrité ; mais les moyens employés par le premier sont les conseils, les menaces, d’habiles combinaisons fédératives et des armemens faits à propos, toutes choses qui ne compromettent que dans une certaine mesure et engagent la forme plutôt que le fond, tandis que le second, au contraire, aurait une tout autre portée : il admettrait des exigences bien autrement impérieuses et des sacrifices en quelque sorte illimités.

Le premier système est l’expression de la politique actuelle de la France : il est tout entier dans l’esprit de l’alliance qui, depuis huit ans, unit les cours de Paris et de Londres. Le but de cette alliance a été le maintien de la paix générale. Pour qu’elle soit une force réellement maîtrisante, il faut que son action s’étende à toutes les affaires de l’Europe, à celles d’Orient aussi bien qu’à celles d’Occident. Nous pensons qu’elle n’a point obtenu dans la question du Levant tous les succès qu’on était en droit d’en attendre, et qu’elle s’est laissé plus