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exemple, que la domination exercée sur le continent par Napoléon en 1810. D’un côté, le bien joué et le bonheur ; de l’autre, une politique bornée et débile : voilà ce qui a fait pendant quinze ans la haute fortune de la Russie. Certes, cette couronne s’abandonnerait à d’étranges illusions d’orgueil, si elle regardait l’influence qu’elle a exercée sur le gouvernement de la restauration comme une portion inhérente à sa puissance. Il faut qu’elle se persuade bien que cette prééminence exclusive et dominatrice, la France, au nom de sa force et de sa civilisation, ne la lui accordera jamais, que sa révolution n’a point attaqué les intérêts essentiels de l’empire, mais seulement replacé les deux états dans leur attitude d’indépendance mutuelle ; que, s’il plaît à la cour de Saint-Pétersbourg de nous offrir son alliance, ce ne sera plus cette alliance d’un pouvoir superbe et protecteur comme celle dont elle accablait la branche aînée, mais une alliance dont nous pèserons en toute liberté les avantages et les inconvéniens, que nous accepterons ou que nous refuserons, selon les convenances de notre politique et les intérêts de l’Europe. La condition première d’un rapprochement sincère entre la France et la Russie, c’est que celle-ci renonce à ses ridicules prétentions de prééminence, et qu’elle admette, comme base d’une alliance avec nous, le principe de l’équilibre entre sa puissance et la nôtre. L’alliance que Napoléon et Alexandre conclurent à Tilsitt, en 1807, fut une alliance véritable, parce que les deux empereurs se partagèrent, en quelque sorte, sur le radeau du Niémen, la direction du monde civilisé. À l’un le Nord et l’Orient, à l’autre le Midi et l’Occident. Il fut convenu entre eux que les deux empires marcheraient d’un pas égal, et que, si l’un s’agrandissait sur un point, l’autre s’étendrait en proportion. L’alliance fut rompue après la chute de l’Autriche à Wagram, parce qu’il n’y eut plus d’équilibre entre les deux empires. Ce principe de l’équilibre une fois admis par la Russie et la France, et devenu comme la loi de leurs rapports entre elles, il faut reconnaître qu’il n’existe point d’états placés, l’un vis-à-vis de l’autre, dans des conditions plus favorables pour s’unir étroitement : nul contact entre leurs territoires ; l’Allemagne tout entière interposée entre elles comme pour prévenir leur choc ; une même ennemie à contenir et sans doute à combattre plus tard dans sa prépondérance maritime, l’Angleterre ; chez l’une, l’ambition ardente de s’agrandir vers l’Orient ; chez l’autre, le désir d’assurer sa défense à l’est. Unies ensemble, le continent leur appartient ; point de forces, point de coalitions qui puissent leur résister. Elles disposent de tout, dirigent tout, décident en arbitres suprêmes toutes les