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AFFAIRES D’ORIENT.

questions ; elles ne sont divisées que sur un seul point, sur la politique de principes. Mais séparées l’une de l’autre par de grandes distances, appartenant à des degrés de civilisation très différens, l’action morale qu’elles exercent l’une sur l’autre est presque nulle, et, sauf le cas d’une guerre générale de principes en Europe, les formes diverses des deux gouvernemens ne sauraient être un obstacle réel à leur union. Cette situation est tellement indiquée par la nature des choses, que, depuis cinquante ans, la France et la Russie, en dépit des efforts des autres cours pour les tenir séparées, ont presque toujours penché à former entre elles des liens intimes. Paul Ier, en 1800 ; Alexandre, en 1809, et de 1815 jusqu’à sa mort ; Nicolas, depuis son avénement au trône jusqu’en 1830, ont recherché l’appui de la France. Dans la crise de l’Orient spécialement, notre alliance, n’eût-elle qu’un caractère politique, serait pour la Russie d’une importance décisive. Elle doit comprendre que, si nous la lui accordions, l’Autriche, n’ayant plus la liberté du choix, serait maîtrisée et se résignerait, trop heureuse d’obtenir son lot dans le partage de l’empire ottoman. Ainsi, en mettant la France de son côté, la Russie y mettrait l’Autriche du même coup ; l’Angleterre, réduite à ses propres forces, serait impuissante pour sauver la Turquie, et ce grand succès, le czar l’obtiendrait presque sans combats.

La cour de Saint-Pétersbourg a donc un intérêt immense à s’assurer de notre appui dans l’affaire d’Orient. Aussi, nous pouvons y compter, le jour où les évènemens et son ambition l’obligeront à sortir de sa politique d’expectative et d’observation, ce jour-là elle oubliera ses rancunes de la veille, elle triomphera de ses attachemens passionnés pour les légitimités détrônées, et son orgueil saura solliciter les faveurs d’une alliance avec la dynastie sortie des barricades. Les grands airs de froideur et de dédain qu’elle affecte vis-à-vis d’elle depuis 1830 sont un indice certain que ses projets sur l’Orient n’ont point encore atteint leur maturité.

De nombreuses et très graves questions se rattachent à l’idée d’une alliance entre la France et la Russie au moment d’une crise d’Orient. Et d’abord, quel serait le véritable caractère de cette union ? Admettrait-elle toutes les nuances et toutes les phases, depuis celle d’une simple alliance politique jusqu’à une complète harmonie de vues et d’action ? Serait-elle politique et militaire tout ensemble ? Il est évident que les obligations et les conséquences ne sauraient être les mêmes dans les deux hypothèses, que le prix d’une coopération militaire de notre part serait d’une tout autre valeur pour la Russie que