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AFFAIRES D’ORIENT.

Nous venons de considérer les deux systèmes qui s’offriront à la France au moment de la solution des affaires d’Orient. Nous ne pensons pas qu’il y eût possibilité de parvenir en Europe à une troisième combinaison fédérative. L’alliance qui existe aujourd’hui entre la Russie, l’Autriche et la Prusse, n’est qu’une alliance de principes. Leur haine commune de la révolution est le seul lien qui les unisse. Le faisceau se romprait inévitablement si la Russie débordait au-delà du Danube. Le consentement de l’Autriche à l’établissement des Russes sur le Bosphore ne sera jamais de sa part qu’un parti extrême. Avant de s’y résigner, elle voudra tenter la fortune, et elle ne le pourra qu’en associant la France à sa cause. Le grand but de sa politique et celui de la Prusse doivent être, si une guerre éclate dans le Levant, de lui conserver son caractère de guerre d’intérêt, et d’empêcher les passions révolutionnaires de l’Occident de s’en emparer et de la dénaturer, en la compliquant d’une guerre de principes. Elles ont un moyen certain de prévenir ce grave péril, c’est de s’unir fortement à la France et à l’Angleterre. Dans une guerre d’Orient, les intérêts positifs de ces quatre puissances se trouveraient, à beaucoup d’égards, solidaires, tandis qu’en matière de principes, une ligne profonde les sépare. Malheur à elles, sans distinction, si, au moment de la crise, elles se laissent dominer par les passions révolutionnaires ou oligarchiques qui s’efforceront de les pousser dans des voies contraires. Il faut que, d’une main, elles compriment fortement ces passions, et que, de l’autre, elles combattent la Russie. Cette puissance doit désirer avec une extrême ardeur des troubles dans l’Occident. Lorsqu’en 1792, Catherine II voulut porter le dernier coup à la Pologne, elle entra dans la coalition de Pilnitz contre la révolution française ; elle promit à ses alliés des armées et des escadres ; elle se garda bien d’envoyer ses troupes et ses vaisseaux, et trois années plus tard, la Pologne n’existait plus. L’empereur Nicolas demeure fidèle aux traditions de son aïeule : ses vœux sont en faveur d’une guerre de principes dans l’Occident, parce qu’elle détournerait ainsi de l’Orient l’attention et les forces de l’Autriche, de l’Angleterre et de la France, et les armerait les unes contre les autres.

Si la Russie, l’Autriche et la Prusse prétendaient se réserver à elles seules l’arbitrage suprême des affaires d’Orient et en écarter l’Angleterre et la France, celles-ci, exaspérées, n’auraient plus de ménagemens à garder vis-à-vis des puissances du Nord. Leurs intérêts de principes et leurs intérêts positifs se trouveraient réunis, confondus ; il ne leur resterait plus qu’à mettre en commun leurs ressentimens et