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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/32

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REVUE DES DEUX MONDES.

jour au monde… Faut croire que l’air de Rennes l’a rendue trop grande dame pour ça.

Je compris sur-le-champ l’intention du paysan, et lui tendant la main :

— Pardieu, m’écriai-je, tu dis peut-être cela autant pour moi que pour elle, car si je ne me trompe, nous nous sommes vus aussi.

— Oui, en passant : tu peux m’avoir oublié ; mais la citoyenne, c’est différent ; elle doit se rappeler que c’est moi qui lui servais de cheval quand elle était petite, même que sa mère me disait toujours de finir, parce que c’était pas un jeu de fille et que ça l’habituait à montrer ses jambes.

L’officier ne put s’empêcher de sourire ; il fit quelques nouvelles questions à Ivon, qui répondit avec précision, et il nous déclara enfin que nous pouvions continuer notre route.

Je dis adieu au paysan, qui ne manqua pas de faire tout haut une dernière réflexion sur les gens qui ne se rappellent pas leurs anciennes connaissances, et nous sortîmes.

Jusqu’alors l’imminence même du danger m’avait fait conserver mon sang-froid ; mais, dès qu’il fut passé, je me sentis saisi d’une sorte de terreur panique. La pensée que nous n’avions échappé au péril que pour un instant s’était emparée si vivement de moi, qu’en entendant derrière nous le galop d’un cheval, je ne doutai point que nous ne fussions poursuivis. La fuite était impossible avec notre lourd attelage, je n’eus point d’ailleurs le temps de l’essayer, car le galop était devenu plus rapproché. Bientôt nous distinguâmes la voix du cavalier, puis la respiration bruyante du cheval ; j’avançai la tête hors du cabriolet, et je me trouvai en face d’Ivon.

— Comment ! dit-il gaiement, vous ne voulez donc pas attendre les amis ?…

— Pardon, répondis-je ; je suis pressé.

— Je m’en doute ; mais faut pas avoir l’air. Dans ce temps-ci, voyez-vous, on s’informe pourquoi un cheval galope et pourquoi il va au pas : faut aller ni trop doucement ni trop fort.

Puis, se tournant du côté de Claire :

— Excusez, ma payse, dit-il en riant, si j’ai pas été poli tout à l’heure ; mais fallait faire croire à l’officier ce que le citoyen lui avait dit.

Je le remerciai vivement d’être ainsi venu à notre secours.

— Est-ce que je pouvais laisser dans l’embarras un ami de la citoyenne Benoist, donc ?