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sance, au lieu de diviser les temps, il les unit, et l’idée qu’il s’en fait est celle d’une composition harmonieuse de la Providence. Sociable par instinct, il a des relations et des convenances avec tous les foyers de la civilisation. Placé comme une porte triomphale à l’issue des temps anciens, à l’entrée des temps modernes, il conduit à l’antiquité avec Boileau, au moyen-âge avec La Fontaine, à l’avenir avec Fénelon, à la foi avec Bossuet, au doute avec Bayle, au sensualisme avec Gassendi, au monde avec Saint-Simon, au cloître avec Bourdaloue. Comme je l’ai dit plus haut, il s’appuie sur la philosophie de Descartes, laquelle repose elle-même sur le doute universel, en sorte que la foi de cette époque touche par un point au scepticisme de la nôtre. D’ailleurs, pour le rattacher à d’autres temps, la scolastique du XIIIe siècle survit dans les sermonnaires, l’esprit de chevalerie dans les inventions du théâtre. La pièce par laquelle le génie français commence à éclater, le Cid, n’est-elle pas puisée au cœur même du moyen-âge ? Loin même que la féodalité soit entièrement extirpée de l’esprit de ce temps, qu’est-ce que cette galanterie tant reprochée à notre scène, si ce n’est l’héritage des passions affaiblies et surannées des romans de Charlemagne et de la cour d’Arthus ? Aricie, Junie, ne sont-elles pas de la même famille que les châtelaines de nos trouvères ? Le sentiment des aventures, l’amour des vieilles tourelles, des grands coups d’épée, où parurent-ils jamais mieux et plus naturellement que dans les lettres de Mme de Sévigné ? Où l’épopée des serfs, l’apologue, s’est-elle montrée avec plus d’indépendance que dans la langue moitié féodale, moitié homérique de La Fontaine ? Croit-on sincèrement que l’auteur d’Athalie n’est pas plus près de Milton que de Sophocle ? Ce siècle est d’une nature si composée, si mêlée, que chacun de ses personnages porte en lui plusieurs hommes. Je crois apercevoir que dans Mallebranche il y a du Platon et du saint Paul, dans Bossuet de l’Isaïe et du saint Bernard. Ce qui fait l’originalité de cette époque, c’est l’accord de deux civilisations, de deux religions, ou plutôt de deux mondes, que l’on retrouve dans chaque monument. Pascal est le seul homme dans lequel ces deux génies et ces deux voix ne soient pas harmonieusement mariés et confondus. La scolastique se débat en lui contre le scepticisme, saint Thomas contre Descartes, le moyen-âge contre la renaissance. De là le caractère poignant de sa philosophie ; ce n’est pas un système, c’est un drame.

Ainsi le siècle de Louis XIV tient aux origines et aux littératures des peuples modernes par la chevalerie, par la philosophie, par la religion, en un mot par tous les liens de la pensée et de la tradition.