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DE L’UNITÉ DES LITTÉRATURES MODERNES.

œuvres le monde physique, pour le plier aux volontés du monde moral. »

Car tous les changemens que vous produisez dans l’un en entraînent de semblables dans l’autre, et vous ne pouvez susciter par votre industrie un résultat nouveau qui ne provoque à son tour, quelque part, une pensée nouvelle. Les idées appellent les faits, comme les faits appellent les idées ; d’où il suit que, lorsque vous croyez ne travailler que pour les corps, vous travaillez en réalité pour les esprits. Courbés sur votre œuvre de chaque jour, vous n’en détournez plus vos regards ; et, dans une sorte de joie ténébreuse, vous dites : « Dieu merci ! l’ame est vaincue. » Mais c’est elle qui triomphe de ce que vous croyez sa défaite, et qui se nourrit de vos sueurs. La spiritualité du moyen-âge ayant cessé, vous croyez déjà toucher à l’avénement de la sensualité promise. Cependant ce beau règne tant prophétisé n’est pas encore venu ; et, loin de nous laisser déconcerter par cette victoire apparente de la matière, nous y voyons au contraire la victoire assurée de l’esprit. Aussi bien, le siècle a beau s’évertuer à équarrir le bois, à scier la pierre, à fouiller le sol, ces occupations ne le posséderont jamais tout entier. Quel qu’il soit, l’homme sur la terre ressemblera toujours à Robinson dans son île déserte : tout ce qu’il fait de ses mains aboutit à se creuser un canot pour en sortir.


Edgar Quinet