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cède n’a été qu’un prélude ; le plus sérieux et le plus mûr commence ; la gloire jusque-là si pure et incontestée du jeune général va subir de terribles épreuves. Il s’agit, en effet, de la France et d’une vieille monarchie, d’une cour à laquelle Lafayette est lié par sa naissance, par des devoirs ou du moins par des égards obligés. De toutes parts il s’agit pour lui de garder une difficile et presque impossible mesure, d’être républicain sans abjurer tout-à-fait son respect au trône, d’être du peuple sans insulter chez les autres ni en lui le gentilhomme. Or Lafayette, dans une telle complication que chaque pensée aisément achève, s’engagea sans hésiter, tout en droiture et comme naturellement. Si on le prend à l’entrée et à l’issue, on trouve que, somme toute et sauf l’examen de détail, il s’en est tiré, quant aux principes généraux et quant à la tenue personnelle, à son honneur, à l’honneur de sa cause et de sa morale en politique.

Ce n’est pas à dire qu’en aucun de ces difficiles momens, ni lui ni son cheval n’aient bronché.

Je ne discuterai pas les principaux faits de la vie de Lafayette depuis 89 jusqu’à sa sortie de France en août 92 ; de telles discussions, rebattues pour les contemporains, redeviendraient plus fastidieuses à la distance où nous sommes placés ; c’est à chaque lecteur, dans une réflexion impartiale, à se former son impression particulière. Les reproches dont sa conduite a été l’objet portent en double sens. Les uns l’ont accusé de ne s’être pas suffisamment opposé aux excès populaires dans la nuit du 6 octobre, le 22 juillet précédent lors du massacre de Foulon, et en d’autres circonstances ; les autres l’ont, au contraire, accusé, lui et Bailly, de sa résistance aux mouvemens populaires dans les derniers temps de l’assemblée constituante, notamment de la proclamation et de l’exécution de la loi martiale au Champ-de-Mars, le 17 juillet 91. Le fait est qu’après la grande insurrection du 14 juillet, qui fondait l’assemblée nationale, Lafayette n’en voulut plus d’autres, mais qu’avant d’en venir à les combattre, à les réprimer, il se prêta quelquefois, pour les mitiger, à les conduire. Il y a bien des années, qu’enfant, j’entendais raconter à un des gardes nationaux présens aux journées des 5 et 6 octobre le détail que voici et qui est à la fois une particularité et une figure. Le tocsin avait sonné dès le matin du 5 octobre, Paris était en insurrection, les faubourgs débouchaient en colonnes pressées, l’on criait : à Versailles ! à Versailles ! Lafayette, qui devait prendre la tête de la marche, ne partait pas. Durant la matinée entière et jusque très avant dans l’après-midi, sous un prétexte ou sous un autre, il avait tenu bon, faisant la