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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

Oh ! même en simple révolution de littérature, heureux qui n’a été que de 89 et qui s’y tient, c’est la belle cocarde. Girondin, passe encore ; on en revient avec honneur, sauf amendement et judicieuse inconséquence ; mais de 93, jamais !

Pourtant revenons aux grandes choses, au général Lafayette, à ses Mémoires et à sa vie. — Indépendamment des récits et de la correspondance qui représente sa vie politique de 89 à 92, on trouve à cet endroit de la publication divers morceaux critiques de la plume du général sur les mémoires ou histoires de la révolution ; il y contrôle et y rectifie successivement certaines assertions de Sieyes, de Necker, de Ferrières, de Bouillé, de Mounier, de Mme Roland, ou même de M. Thiers. Le ton de ces observations, bien moins polémiques qu’apologétiques, se recommande tout d’abord par une modération digne, à laquelle, en des temps de passion et d’injure, c’est la première loi de quiconque se respecte de ne jamais déroger. Sieyes, si haut placé qu’il fût dans sa propre idée et dans celle des autres, n’a pas toujours fait de la sorte. La notice écrite par lui sur lui-même (1794) et que Lafayette discute, est, ainsi que celui-ci la qualifie avec raison, plus âcre que vraie sur bien des points. Sieyes dédie ironiquement sa notice à la Calomnie, mais lui-même n’y épargne pas les imputations calomnieuses ou injurieuses contre son ancien collègue à la constituante, pour lors prisonnier de la coalition. Lafayette prend avec réserve et dignité sa revanche de ces aigreurs, et il triomphe légitimement à la fin, lorsque, sans cesser de se contenir, il s’écrie :

« Il n’appartient point à mon sujet d’examiner la troisième époque de la vie politique de Sieyes[1]. Je suis encore plus loin de chercher à attaquer ses moyens de justification, et je me suis contenté d’admirer les pages éloquentes où il nous peint le règne de l’anarchie et de la terreur. À Dieu ne plaise que je cherche à appuyer l’horrible accusation de complicité avec Robespierre, dont il est si justement indigné ; à Dieu ne plaise que je me permette d’y croire ! mais il est une observation que je dois faire, parce qu’elle est commandée par mon amour inaltérable pour la liberté, par le sentiment profond que j’ai des devoirs d’un citoyen, et surtout d’un représentant français. L’accusation dont on a voulu souiller Sieyes est inique ; elle est fausse, et néanmoins il a mérité qu’on la fît. Je ne parle pas de cet ancien

  1. Sieyes avait divisé sa vie politique depuis 89 en trois époques. « Durant toute la tenue de l’assemblée législative jusqu’à l’ouverture de la convention, il est resté complètement étranger à toute action politique. C’est le troisième intervalle. » (Notice de Sieyes sur lui-même.)