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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

vent s’en tirer qu’avec des erreurs, des inconséquences et des repentirs. J’ai fait beaucoup de fautes, sans doute, parce que j’ai beaucoup agi, et c’est pour cela que je ne veux pas y ajouter ce qui me paraît fautif… Il en résulte qu’à moins d’une très grande occasion de servir à ma manière la liberté et mon pays, ma vie politique est finie. Je serai pour mes amis plein de vie, et pour le public une espèce de tableau de muséum ou de livre de bibliothèque. » Jamais, sans doute, son cœur ne se sentit plus jeune ; les excès, qui ont dégoûté de la liberté les demi-amateurs, étant encore plus opposés à cette sainte liberté que le despotisme, ne l’ont pas guéri, lui, de son idéal amour ; mais il apprécie la société, son égoïsme, son peu de ressort généreux. Il est curieux de l’entendre en maint endroit ; un moraliste ne dirait pas autrement ni mieux : « Comme l’égoïsme public, écrit-il à Mme de Tessé (Utrecht, 1799), se manifeste en poltronnerie pour ne pas faire le bien malgré les gouvernans, et en amour-propre pour ne le jamais faire avec eux, il en résulte que les hommes qui ont le pouvoir ne sont point intéressés à en faire un bon usage, et que tous les autres mettent leur prétention civique à ne se mêler de rien… » Il observe avec beaucoup de finesse qu’on a tellement abusé des mots et perverti les idées, que la nation (à cette date de 1799) se croit anti-républicaine sans l’être ; il la compare toujours, dit-il, aux paysans de son département, à qui on avait persuadé, jusqu’à ce qu’ils l’eussent entendu, qu’ils étaient aristocrates. Les remèdes qu’il proposerait sont modestes, de simples palliatifs, les seuls qu’il croie proportionnés, dit-il encore, à l’état présent de l’estomac national.

La spirituelle et bonne Mme de Tessé a beau encore le chicaner agréablement sur sa disposition à l’espoir ; qui ne le croirait guéri ? Il lui répond d’Utrecht, à propos des imbroglios d’intrigues croisées qui remplirent l’intervalle du 30 prairial au 18 brumaire : « Je suis persuadé que les anciens et les nouveaux jacobins combattent, comme dans les tournois, avec des armes ensorcelées ; et tout me confirme que les insurrections ne sont plus pour un régime libre, mais, au contraire, pour le plus bête et le plus absolu despotisme. Il ne me reste donc pour espérer qu’un je ne sais quoi dont vous n’aurez pas de peine à faire rien du tout. » Pourtant l’aimable cousine (comme il appelle sa tante) ne se tient pas pour convaincue, et, du fond de son Holstein, elle le moralise toujours. Lafayette est alors en Hollande ; on parle d’une invasion prussienne ; il la croit combinée avec la France et ne s’en inquiète ; elle, Mme de