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« Pendant les trente-quatre années d’une union où sa tendresse, sa bonté, l’élévation, la délicatesse, la générosité de son âme charmaient, embellissaient, honoraient ma vie, je me sentais si habitué à tout ce qu’elle était pour moi, que je ne le distinguais pas de ma propre existence. Elle avait quatorze ans et moi seize, lorsque son cœur s’amalgama à tout ce qui pouvait m’intéresser. Je croyais bien l’aimer, avoir besoin d’elle, mais ce n’est qu’en la perdant, que j’ai pu démêler ce qui reste de moi pour la suite d’une vie qui avait paru livrée à tant de distractions, et pour laquelle néanmoins il n’y a plus ni bonheur, ni bien-être possible. Le pressentiment de sa perte ne m’avait jamais frappé comme le jour où, quittant Chavaniac, je reçus un billet alarmant de Mme de Tessé ; je me sentis atteint au cœur. George fut effrayé d’une impression qu’il trouvait plus forte que le danger. En arrivant très rapidement à Paris, nous vîmes bien qu’elle était fort malade ; mais il y eut dès le lendemain un mieux que j’attribuai un peu au plaisir de nous revoir

« Voilà bien des souvenirs que j’aime à déposer dans votre sein, mon cher ami ; mais il ne nous reste que des souvenirs de cette femme adorable à qui j’ai dû un bonheur de tous les instans, sans le moindre nuage. Quoiqu’elle me fût attachée, je puis le dire, par le sentiment le plus passionné, jamais je n’ai aperçu en elle la plus légère nuance d’exigence, de mécontentement, jamais rien qui ne laissât la plus libre carrière à toutes mes entreprises ; et si je me reporte aux temps de notre jeunesse, je retrouverai en elle des traits d’une délicatesse, d’une générosité sans exemple. Vous l’avez toujours vue associée de cœur et d’esprit à mes sentimens, à mes vœux politiques, jouissant de tout ce qui pouvait être de quelque gloire pour moi, plus encore de ce qui me faisait, comme elle le disait, connaître tout entier ; jouissant surtout lorsqu’elle me voyait sacrifier des occasions de gloire à un bon sentiment. — Sa tante Mme de Tessé me disait hier : « Je n’aurais jamais cru qu’on pût être aussi fanatique de vos opinions et aussi exempte de l’esprit de parti. » En effet, jamais son attachement à notre doctrine n’a un instant altéré son indulgence, sa compassion, son obligeance pour les personnes d’un autre parti ; jamais elle ne fut aigrie par les haines violentes dont j’étais l’objet, les mauvais procédés et les propos injurieux à mon égard, toutes sottises indifférentes à ses yeux du point où elle les regardait et où sa bonne opinion de moi voulait bien me placer. — Vous savez comme moi tout ce qu’elle a été, tout ce qu’elle a fait pendant la révolution. Ce n’est pas d’être venue à Olmütz comme l’a dit Charles Fox, « sur les