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LIVINGSTON.

civils. Remédiant aux infirmités et prévenant les divisions qui avaient jusque-là menacé les républiques et les fédérations, il avait sagement fondé un pouvoir central ayant son chef, ses assemblées, ses lois, ses tribunaux, ses troupes, ses finances, et se trouvant par là capable de maintenir en corps de nation tant de colonies qui n’avaient ni la même origine, ni la même organisation, dont l’esprit différait aussi bien que le climat, et qui se séparaient autant par les intérêts que par les habitudes. Mais sa position et la Providence avaient plus fait pour lui que la prévoyance et les institutions mêmes de ses législateurs. Elles l’avaient placé sur un vaste continent, sans voisins redoutables et dès-lors sans ennemis, sans guerre étrangère et dès-lors sans dangers intérieurs. Elles avaient ouvert à son activité d’immenses perspectives. Elles lui avaient donné des déserts à peupler, des forêts à abattre, des savannes à cultiver, des montagnes à franchir, des fleuves à diriger, un monde entier à parcourir et à gagner à la civilisation. Cette force surabondante que les vieux états, bornés dans leur action comme dans leur territoire, tournent contre les autres ou contre eux-mêmes, le peuple américain était assez heureux pour n’avoir à l’employer que contre la nature. De long-temps la société n’avait rien à craindre de l’homme, qui, libre au milieu de ces vastes espaces, pouvait satisfaire, sans péril pour elle, ses penchans les plus fougueux et les plus avides, acquérir sans déposséder personne, lutter sans verser le sang d’autrui, trouver autant de travaux qu’il éprouvait de besoins, et se livrer à autant d’entreprises qu’il nourrissait de désirs.

Dans cet état de choses, il s’était formé deux partis, dont l’un paraissait redouter le développement du principe démocratique, et dont l’autre craignait le rétablissement des institutions anglaises. Le premier s’appelait parti fédéraliste ; le second, parti républicain. Un reste d’affection pour l’ancienne métropole, avec laquelle l’Amérique était en communauté de sang, de mœurs, de langue, et une sorte d’éloignement pour la politique violente de la révolution française, disposaient le parti fédéraliste à se rapprocher de l’Angleterre, par la ressemblance des lois comme par les liens des traités. La jalousie de l’indépendance et les calculs d’une politique habile et reconnaissante poussaient le parti démocratique à préférer l’allié qui avait secondé l’émancipation à l’ennemi qui l’avait combattue, et le maintenaient fidèlement uni à la France. L’un, inquiet des destinées mystérieuses de son pays, se rattachait au passé avec une anxiété prudente ; l’autre, plein d’une instinctive confiance, s’élançait hardiment