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ESPRIT DE LA SESSION.

avons pu faire de quelques consciences politiques. Sans la persistance ministérielle, aurions-nous eu le spectacle des changemens de M. Guizot, qui, après avoir, le 9 janvier, accordé au ministère une approbation majestueuse, après s’être déclaré satisfait des paroles prononcées par M. Molé, n’est monté à la tribune, quelques mois après, que pour donner l’adhésion la plus explicite aux violences de M. Jaubert ? Le 9 janvier, M. Guizot espérait un retour prochain aux affaires ; plus tard, trompé dans son attente, il désirait se venger : d’ailleurs n’était-il pas obligé d’obéir aux passions de son parti, et de le suivre pour paraître toujours le commander ?

Quant au parti lui-même, ses adversaires n’auraient pu espérer, au début de la session, qu’il descendrait aux excès qui, depuis six mois, le déconsidèrent aux yeux du pays. Quel ton, quelle modération, quelle tenue politique pour d’anciens défenseurs de l’ordre et de futurs possesseurs du pouvoir ! Discours de tribune, conversations de couloirs, articles de journaux, tout a dépassé les limites que les hommes politiques et les gens du monde savent mettre à l’expression de leurs ressentimens les plus vifs. Il est vrai que les amis de M. Guizot estiment qu’ils ont le don de tout purifier et qu’ils innocentent, en daignant s’en servir, les moyens et les armes que chez d’autres ils seraient les premiers à déclarer coupables : ils nient qu’ils puissent jamais être inconvenans dans la forme, et factieux au fond, puisqu’ils sont doctrinaires. C’est le raisonnement d’un Américain qui, amené ivre-mort dans un corps de garde, soutenait le lendemain matin devant le magistrat, qu’il était impossible qu’il fût ivre, puisqu’il était membre d’une société de tempérance.

Nous pouvons prédire à M. Guizot que, s’il ne reprend assez d’autorité sur son parti pour le faire rentrer dans des bornes dont il n’aurait jamais dû sortir, il sera forcé de s’en séparer avec éclat, et de repousser une solidarité qui compromet non-seulement l’ancien ministre, mais l’homme même. Que M. Guizot veuille bien songer qu’il sera d’autant plus fort qu’il sera seul ; qu’il renonce à la manie d’une situation anglaise ; qu’il se contente d’être une individualité remarquable qui peut encore rendre tant au pays qu’au gouvernement de réels services. Le jour où il acceptera franchement cette transformation nécessaire, il échangera contre l’appui d’une coterie, l’appui du public.

Mais revenons à la session. Quand le ministère eut reconnu que, malgré le vote de l’adresse, les diverses fractions opposantes avaient résolu de remettre en question son existence et la volonté politique