Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
REVUE DES DEUX MONDES.

mens, à l’exercice de ses fonctions, au séjour même de son pays. Il fallut, à l’âge de quarante ans, qu’il recommençât la vie. Les habitudes de l’opulence, les dépenses d’une représentation peut-être un peu trop fastueuse, d’abondans secours accordés aux malades, et, plus que tout cela, l’imprudence d’un ami qu’il avait rendu dépositaire de sommes considérables qui appartenaient aux États-Unis, et qui furent plus tard payées par lui intégralement, le ruinèrent. Il eut besoin de reprendre la profession d’avocat pour refaire sa fortune. Du reste, ce qui causa alors ses traverses fut ensuite l’occasion de sa gloire en le conduisant dans un pays nouveau dont il devait être le législateur.

Par une heureuse coïncidence avec sa situation et ses besoins, les vastes et riches contrées qu’arrose le Mississipi venaient de s’ouvrir à l’industrie comme à la domination des Américains. Le chancelier Robert Livingston, frère d’Edward, et ministre des États-Unis en France, avait négocié pour eux, à Paris, l’importante acquisition de la Louisiane. Cette colonie française, que le faible gouvernement de Louis XV avait cédée à l’Espagne par le traité de 1763, le gouvernement espagnol, à son tour, l’avait rétrocédée à la France par le traité de Saint-Ildefonse, en 1800. La prévoyance politique du premier consul Bonaparte avait tenu ce traité secret tant qu’avait duré la guerre avec l’Angleterre. Mais, à la paix d’Amiens, le glorieux auteur de tant de merveilles, après avoir calmé les dissensions de la France sans éteindre ses ardeurs, lui avoir assuré par des traités les résultats continentaux de ses victoires, aspira à lui redonner son ancienne grandeur coloniale. C’est dans ce but qu’il s’était fait restituer les colonies conquises par l’Angleterre, qu’il avait obtenu de l’Espagne la Louisiane, et qu’il avait entrepris l’expédition de Saint-Domingue. Mais le succès et le temps manquèrent également à ses desseins. La conquête de Saint-Domingue échoua, et la guerre devint imminente avec l’Angleterre. N’espérant plus pouvoir conserver la Louisiane et ne voulant pas la laisser prendre par les Anglais, il la remit aux Américains. Agrandir l’Amérique, c’était, à ses yeux, affaiblir l’Angleterre. Outre le profit politique qu’il obtenait en fortifiant un allié contre un ennemi, il retira de cette cession 80,000,000 fr. pour la France, et stipula que son ancienne colonie serait annexée à la république fédérale comme état libre, avec tous les avantages généraux de l’union et tous les droits particuliers de la souveraineté.

Edward Livingston partit pour la Nouvelle-Orléans, où il arriva vers la fin de 1803, à peu près en même temps que les commissaires