Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/449

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
445
VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

Au reste, nous avons entendu dire les mêmes choses dans d’autres lieux et par d’autres personnes.

Nous demandâmes à ce cheik comment il se faisait que ses administrés montraient aussi peu de déférence pour Abd-el-Kader, puisqu’ils s’étaient soumis à lui. Il se récria vivement sur cette assertion, et nous dit que le chef des Kabaïles de cette partie de la régence, Ben-Zamoun, avait, en effet, reconnu le pouvoir de l’émir, mais que les Kabaïles placés sous ses ordres n’avaient point fait de soumission ; que, s’ils ne protestaient point positivement contre celle de leur chef, c’est parce qu’ils n’y attachaient pas une grande importance, et qu’ils entendaient bien qu’elle serait à peu près nominale, ne compromettrait en rien leur indépendance, et n’exigerait de leur part que quelques sacrifices pécuniaires presque insignifians. « Nous payions aux Turcs, ajouta-t-il, un mouzonnat (environ six liards) par maison ; nous ne demandons pas mieux que d’accorder la même somme au nouveau pouvoir. Mais si el hadje Abd-el-Kader (ils affectent de le désigner ainsi, et ne lui accordent pas le titre de sultan) exige davantage, qu’il vienne nous trouver dans nos montagnes, et nous le paierons avec du plomb. »

Les observations que nous avons été à même de faire nous autorisent à croire que cette manière d’envisager le pouvoir de l’émir est commune à tous les Kabaïles qui habitent les montagnes de la partie supérieure de l’Isser.

Le 30, nous quittâmes le village des Beni-Hini, et nous continuâmes de remonter la vallée de l’Isser. Tout le pays que nous traversâmes dans cette journée est très peuplé et entièrement cultivé. Partout, sur notre passage, nous trouvions les Kabaïles occupés à labourer la terre. Le propriétaire du champ, reconnaissable à son costume plus soigné, se tenait auprès de ses ouvriers, une grande baguette à la main. Dans un endroit où la vallée se resserre beaucoup, et où le lit de la rivière en occupe presque toute la largeur, les indigènes nous adressèrent des injures du haut de la montagne ; quelques-uns même, armés de leurs fusils, descendirent jusque auprès de nous. Mais la vue de notre escorte empêcha leurs sentimens hostiles de se manifester autrement que par des paroles. Nos guides nous expliquèrent que les populations que nous traversions alors étaient précisément celles qui avaient le plus souffert au combat du Boudouaou, et qu’elles ne seraient pas fâchées de prendre une revanche facile sur des Français assez hardis pour voyager dans leur pays. Dans un village des Flissa-Mtâ-el-Djibel (Flissa de la montagne), où nous nous