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VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

dîmes-nous à Miliani. Il nous suffit que les Aribs de Hamza sachent bien que nous sommes sous la protection de l’émir et qu’ils doivent nous respecter. »

À partir de ce moment nous n’eûmes qu’à nous louer de nos hôtes. Ils nous accablèrent de prévenances et de politesses, et cherchèrent par tous les moyens possibles à nous faire oublier leur premier accueil. « Vous êtes arrivés mal à propos, nous disait un d’entre eux à ce sujet, Hadji Abd-el-Kader vient de nous faire payer 15,000 boudjoux ; il nous a pris deux cents mules chargées d’orge. Nous ne pouvons être contens. » Nous comprîmes parfaitement leurs motifs ; nous leur pardonnâmes de bon cœur, et nous reprîmes aussitôt le cours de nos excursions dans le douar.

La promenade n’est pas toujours sans inconvéniens dans un douar ou campement arabe. Chaque tente est défendue par une trentaine de chiens et quelquefois davantage ; ces chiens montrent un grand acharnement, non-seulement contre un étranger, mais aussi contre tout homme de la tribu qui franchit la ligne de démarcation qui sépare une habitation d’une autre. Cette ligne n’est pas plus réelle que celle de l’équateur ; cependant le chien bédouin la connaît si bien, qu’il ne commence à aboyer que quand on tente de dépasser cette limite imaginaire. Pour circuler avec sécurité au milieu de ces bandes de cerbères, il faut avoir sans cesse une provision de pierres à sa disposition ; le bâton ne protège que très inefficacement contre la fureur de ces animaux.

Quand un visiteur est admis dans une tente par le propriétaire, les chiens semblent comprendre qu’ils doivent le respecter. Si par hasard ils l’oublient, les femmes s’empressent de les châtier à grands coups de bâton ; tout en rétablissant l’ordre, elles ont un prétexte honnête de regarder à loisir le nouveau venu.

Puisque nous nous sommes étendus sur ce chapitre, nous ajouterons qu’en Algérie les chiens ne suivent jamais les hommes. Semblables aux chats de nos pays, ils s’attachent au lieu et non à la personne. On peut dire que ces animaux sont encore ici à l’état sauvage ; c’est peut-être ce qui explique le profond mépris qu’ils inspirent à leurs maîtres : le mot kelb, chien, est l’injure la plus grave. Il est à remarquer que l’expression chien a aussi, parmi nous, un sens défavorable qui ne s’accorde pas avec les qualités précieuses que l’on reconnaît à cet animal appelé à juste titre l’ami de l’homme. Qui sait si l’origine de cette injure ne remonte pas à l’époque où nos ancêtres, encore barbares et à peu près dans les mêmes conditions que les