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vons déclarer qu’il ne ressemble en aucune manière à la ridicule lithographie qui circule en France avec la prétention d’être son portrait. L’artiste, qui a travaillé d’imagination, s’est cru obligé de donner à l’émir l’aspect rude et sanguinaire d’une espèce de Barbe-Bleue. Abd-el-Kader, au contraire, est remarquable par un air de douceur mélancolique qu’il conserve même lorsque la nécessité de représenter au milieu des siens le force à prendre un visage sévère. Toutefois le sentiment qui domine essentiellement dans sa physionomie est un sentiment d’une nature toute religieuse. Sa figure a quelque chose d’ascétique qui rappelle les belles têtes de moines dont le type nous a été légué par le moyen-âge ; de ces moines guerriers cependant, que l’on rencontrait plus souvent au milieu des chocs tumultueux du champ de bataille, que dans la tranquille obscurité des cloîtres. Le costume arabe, qui ressemble beaucoup au vêtement des moines, rend l’analogie que nous signalons encore plus frappante.

Dire qu’Abd-el-Kader a la figure longue, assez grasse, et cependant très pâle ; que ses yeux, fort beaux du reste, sont d’une mobilité qui contraste avec l’immobilité habituelle de sa tête ; que sa barbe est noire et bien fournie, et que ses mains ne sont pas très remarquables, quoique le plus estimé de ses biographes lui ait établi sous ce rapport une sorte de réputation ; ajouter qu’il est de petite taille, et qu’il a le défaut, commun aux Arabes de médiocre stature, de porter la tête trop en avant par la nécessité de résister à l’action des burnous dont les lourds capuchons, pendant sur le dos, tendent à la rejeter en arrière ; dire enfin que, par la même cause, il a les épaules un peu voûtées, ce n’est pas, nous le sentons, donner une idée suffisante de l’aspect physique d’Abd-el-Kader. Pour ceux de nos lecteurs qui ont eu occasion de voir le lieutenant-colonel Youssouf (l’ex-bey de Constantine), nous ferons remarquer qu’il y a quelque ressemblance, dans les traits seulement, entre ces deux personnages, l’expression de la physionomie étant bien différente. Nous renvoyons ceux qui ne peuvent faire cette comparaison à la belle collection de vues de l’Algérie, que M. le capitaine Genet va bientôt faire paraître et dans laquelle doit se trouver un portrait de l’émir réellement dessiné d’après nature.

Pendant que nous nous livrions à cet examen de la personne d’Abd-el-Kader, la conversation, débarrassée des complimens interminables que la politesse outrée des Arabes lui donne toujours pour préambule, commençait à s’établir sur des sujets plus intéressans que la santé des interlocuteurs et l’état de la température.