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VOYAGE AU CAMP D’ABD-EL-KADER.

avait une meilleure raison à donner, mais son orgueil l’en empêcha : c’était de dire qu’il n’a pas d’autorité sur la plupart des peuples qui habitent cette contrée, et que le petit nombre de ceux qui ont bien voulu le reconnaître admettent son pouvoir d’une manière beaucoup trop nominale pour que sa recommandation puisse protéger efficacement ceux qui voyageraient sans autre appui que le sien. Aussi mon but, en demandant à parcourir le Kobla, était principalement d’obtenir d’Abd-el-Kader les moyens de traverser l’Atlas avec sécurité, sachant bien qu’au-delà ce chef ne pouvait presque rien. Mais comme la partie la plus difficile à explorer, à cause du caractère des habitans, est précisément celle qui se trouve sous la main d’Abd-el-Kader, et que les peuples du Kobla n’ont pas la haine des Kabaïles de l’Atlas pour les étrangers et surtout pour les chrétiens, l’autorisation de l’émir était une chose importante à obtenir.

Après quelques objections légères, Abd-el-Kader consentit à ce que je lui demandais : une circonstance que je vais rapporter contribua beaucoup à le décider.

En expliquant à l’émir le but scientifique des courses que j’avais déjà faites dans la régence et de celles que je me proposais de faire encore, je vins à citer Mascara, et, après avoir raconté que dans cette ville j’avais habité la maison même d’Abd-el-Kader, je parlai de quelques titres de propriétés que j’y avais trouvés et que j’avais rapportés à Alger avec l’intention de les rendre à celui qu’ils pouvaient seul intéresser, dès que l’occasion s’en présenterait. L’émir parut très satisfait de cette action, toute naturelle du reste. « Ce n’est pas, dit-il, que j’attache une grande importance à mes titres de propriété, ni que j’en aie grand besoin : personne, ajouta-t-il en souriant, n’oserait me disputer ce qui m’appartient ; mais je suis content de voir qu’un chrétien ait eu cette attention pour un musulman et un ennemi. Si tu possèdes des titres qui soient relatifs à d’autres personnes que moi, rends-les aussi ; car ils leur seront réellement nécessaires. Dieu te récompensera de cette bonne action. »

À partir de ce moment, toutes les difficultés s’aplanirent ; Abd-el-Kader consentit à tout de la manière la plus aimable. « Je ne pense pas, me dit-il, que tu veuilles entreprendre ce voyage en ce moment, à cause de la mauvaise saison ; mais, au printemps, viens me trouver à Medeah. Ne t’inquiète ni de cheval ni d’argent ; tu verras comment un Arabe entend l’hospitalité. »

L’émir était en ce moment d’une gaieté extrême. M. le docteur Bodichon, un de nos compagnons, lui demanda aussi la permission