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LIVINGSTON.

signa M. Livingston comme le jurisconsulte propre à exécuter ce grand travail, et elle le nomma son législateur. Enfin le 21 mars 1822, à la suite d’un admirable rapport dans lequel M. Livingston exposa tout son système, et qui frappa l’assemblée d’étonnement par la grandeur des vues, l’étendue de la science, l’amour de la justice et la beauté du langage, elle approuva le plan qu’il proposait, et le sollicita avec instance dans un décret public de poursuivre son ouvrage. M. Livingston le poursuivit en effet, et pendant deux années s’y consacra tout entier. Il consulta la pratique des pays les plus éclairés, et les lumières des hommes les plus savans. Il entra en correspondance avec les criminalistes européens que lui recommandaient leur réputation ou leur doctrine, et au bout de deux ans fut achevée une des œuvres législatives les plus vastes, les plus complètes, les mieux ordonnées, qui soient sorties d’une seule tête.

Quels avaient été jusqu’alors, en matière pénale, les progrès des esprits et les perfectionnemens des lois ? Quel fut le point d’où partit M. Livingston, pour s’engager dans cette belle route de la justice législative, ouverte par les travaux du dernier siècle, et étendue par les siens ?

Pendant long-temps, la société, impuissante à réprimer les crimes, était intervenue pour pacifier les individus et non pour les punir. Son mode de répression avait été un simple acte de médiation entre des ennemis, et elle s’était trouvée réduite à traiter le crime comme un fait de guerre. Elle avait admis ce système de compositions pécuniaires, à l’aide duquel l’un payait son crime, l’autre vendait sa vengeance. Mais devenue peu à peu assez forte pour se charger elle-même de la répression des attentats, elle les avait poursuivis, jugés en son nom et pour son compte. Encore grossière et violente dans sa justice, elle avait substitué le droit de vengeance publique au droit de vengeance privée. La férocité avait passé des mœurs dans les lois, et les châtimens de la justice ressemblaient aux représailles de la passion. Des lois cruelles, des juges endurcis, une procédure clandestine, point de défense, la torture comme supplément d’instruction, l’aveu arraché à la douleur comme moyen de certitude, aucune proportion entre les châtimens et les offenses, des prisons infectes, des supplices atroces, l’infamie de la peine s’étendant sur des familles et sur des générations innocentes, voilà ce qu’elle avait établi à peu près partout, et ce qui s’était maintenu jusqu’au milieu du dernier siècle.

À cette époque, Montesquieu était devenu l’organe de pensées plus