Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/493

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
489
PROMÉTHÉE.

rité que le peintre doit avoir sur son pinceau, le sculpteur sur son argile, le musicien sur son archet ou son clavier.

Ainsi, M. Quinet, dont on connaît la prose colorée, abondante, variée, pleine de richesse et de ressources, tombe, quand il porte le poids du vers, dans des répétitions de mots et d’images qui attestent le malaise et la fatigue. Je lis, par exemple, dans Prométhée :

— Comme un tombeau d’airain le ciel même frémit.
— L’attente aux yeux d’airain que suit le désespoir.
— De ses liens d’airain mon esprit s’affranchit.
— Toi qu’un lien d’airain dans ses nœuds emprisonne.
— De ces liens d’airain forgés dans le mystère
Que d’eux-mêmes les nœuds se brisent au grand jour !
— Il sent son cœur d’airain se fondre tout en eau.
— Hé ! cervelle d’airain ! oracle du passé !
— Et le vide atelier ou le cyclope broie
Dans un creuset d’airain un avenir d’airain.

Je trouve encore des sceptres, des fronts, des jougs, des verges, des ongles d’airain ! Il est évident que de pareilles redites et qu’une telle monotonie dans un écrivain aussi fécond en tours et en images que M. Quinet, et dans un poème de moins de trois mille vers, ne peuvent être attribuées qu’à la contrainte du mètre.

Voici encore quelques exemples de répétitions qu’il faut évidemment jeter sur le compte de la rime :

— Déjà je caressais mes songes éphémères.
— Lui seul demeure en paix ; tout autre est éphémère.
— Déserteur de l’Olympe, appui des éphémères.
— Rois des éphémères,
Où sont vos aïeux ?
— Ah ! laisse cet espoir aux fils des éphémères.
— Pasteur des songes d’or et roi des éphémères.

Quelquefois même la tyrannie de la rime conduit M. Quinet, écrivain presque toujours irréprochable, à des oublis de syntaxe :

Dans tes bras de géante, où dorment les chimères,
D’abord tu berceras les peuples éphémères ;
Tu nourriras de lait les cités aux berceaux.