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égale à la prime d’émancipation, pour l’aider à former un premier établissement, et en quelque sorte son apport social dans la cité qui aurait repoussé, sans cette précaution légitime, le nouveau membre mis à sa charge. En présence de tant de difficultés, le colon pauvre ou trop intéressé sentait avec regret ses bonnes intentions se refroidir, et quelquefois il renonçait à un acte de justice que lui dictait sa conscience, et que des prescriptions rigoureuses lui rendaient pénible.

Sous ce rapport, il est incontestable que les nouveaux réglemens sur l’émancipation ont profité beaucoup à l’esclave. Mais le plus souvent, le maître tournait les difficultés, et l’esclave était mis en possession de la liberté, un peu plus tard, avec plus de peine et d’efforts de la part de celui qui avait la ferme volonté d’être juste et reconnaissant pour de longs services. Il arrivait fréquemment que des blancs livraient au noir qu’ils émancipaient, au lieu d’argent ou d’un peu de terre, un des enfans de ce même noir, deux de ses enfans au besoin, à titre d’esclaves, et jusqu’à concurrence du prix d’entrée requis pour l’incorporation du nouveau venu dans la société libre. Étrange cadeau ! Un fils offert en pur don à son père, un fils transporté, par mutation, sous la puissance de son père, mais comme esclave et pour vivre et mourir esclave, si le père ne travaillait à lui obtenir, plus tard, une liberté semblable à la sienne par quelque ingénieuse manœuvre du même genre ! Souvent on se dispensait de recourir à la manumission officielle, et l’on affranchissait son esclave par le fait, en le laissant prendre place parmi les libres de savannes ou patronés. Il était nécessaire, pour cela, de lui ménager la tutelle officieuse d’un patron, dont il eût à se prévaloir dans quelques circonstances exceptionnelles : le maître remplissait lui-même cet office envers l’affranchi et vis-à-vis de l’administration publique, s’il se décidait, de son vivant, à faire un patroné ; mais, ce qui était bien plus fréquent, si on faisait un patroné par disposition testamentaire, on chargeait du patronage un ami qui, en vertu d’un fidéi-commis, presque toujours religieusement observé, assurait à l’esclave désigné une liberté absolue et ne gardait que le titre de maître, pour lui en faire un bouclier dans l’occasion. Il y avait dans tout cela une singulière complication de formes, et pourtant il s’agissait d’une chose bien simple, d’un désistement de propriété : aussi peut-on dire que, par le nouveau régime des affranchissemens, ce sont les maîtres qui, avant tout, se sont trouvés affranchis des obligations qui les gênaient.

Certes, nous le répétons, la classe des esclaves a dû y gagner quelques émancipations de plus, et nous nous réservons de donner