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LA DUCHESSE DE PALLIANO.

rait pas absolument de parvenir à son but, il voyait la duchesse profondément irritée contre un mari qui la négligeait. Le duc de Palliano était tout puissant dans Rome, et la duchesse savait, à n’en pas douter, que presque tous les jours, les dames romaines les plus célèbres par leur beauté venaient voir son mari dans son propre palais, et c’était un affront auquel elle ne pouvait s’accoutumer.

Parmi les chapelains du saint pape Paul VI se trouvait un respectable religieux avec lequel il récitait son bréviaire. Ce personnage, au risque de se perdre, et peut-être poussé par l’ambassadeur d’Espagne, osa bien un jour découvrir au pape toutes les scélératesses de ses neveux. Le saint pontife fut malade de chagrin ; il voulut douter ; mais les certitudes accablantes arrivaient de tous côtés. Ce fut le premier jour de l’an 1559 qu’eut lieu l’événement qui confirma le pape dans tous ses soupçons, et peut-être décida sa sainteté. Ce fut donc le propre jour de la Circoncision de Notre-Seigneur, circonstance qui aggrava beaucoup la faute aux yeux d’un souverain aussi pieux, qu’André Lanfranchi, secrétaire du duc de Palliano, donna un souper magnifique au cardinal Caffara, et voulant qu’aux excitations de la gourmandise ne manquassent pas celles de la luxure, il fit venir à ce souper la Martuccia, l’une des plus belles, des plus célèbres et des plus riches courtisanes de la noble ville de Rome. La fatalité voulut que Capecce, le favori du duc, celui-là même qui en secret était amoureux de la duchesse, et qui passait pour le plus bel homme de la capitale du monde, se fût attaché depuis quelque temps à la Martuccia. Ce soir-là, il la chercha dans tous les lieux où il pouvait espérer la rencontrer. Ne la trouvant nulle part, et ayant appris qu’il y avait un souper dans la maison Lanfranchi, il eut soupçon de ce qui se passait, et sur les minuit se présenta chez Lanfranchi, accompagné de beaucoup d’hommes armés.

La porte lui fut ouverte, on l’engagea à s’asseoir et à prendre part au festin, mais après quelques paroles assez contraintes, il fit signe à la Martuccia de se lever et de sortir avec lui. Pendant qu’elle hésitait toute confuse et prévoyant ce qui allait arriver, Capecce se leva du lieu où il était assis, et s’approchant de la jeune fille, il la prit par la main, essayant de l’entraîner avec lui. Le cardinal, en l’honneur duquel elle était venue, s’opposa vivement à son départ ; Capecce persista, s’efforçant de l’entraîner hors de la salle.

Le cardinal, premier ministre, qui ce soir-là avait pris un habit tout différent de celui qui annonçait sa haute dignité, mit l’épée à la main, et s’opposa avec la vigueur et le courage que Rome entière