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soit présenté de nouveau dans une de nos places fortes pour demander son éloignement de la Suisse ? Est-ce là ce que veulent l’opposition libérale de Paris et les démocrates de la confédération helvétique ?

La véhémence de M. Monnard ne tient pas, il faut le reconnaître, à quelque intérêt que lui inspirerait M. Louis Bonaparte. Le député de Vaud déclare que « c’est un pauvre républicain que celui qui ne sait pas se contenter de l’honneur de vivre en homme libre dans un pays libre, » et s’il entend protéger un citoyen suisse qui a des chambellans et se fait donner, dans son château, le titre de majesté, c’est uniquement pour l’honneur des principes. Quant à nous, nos réflexions ne se ressentent pas, on le voit, de l’aigreur des discours de M. Monnard et de ses collègues ; aussi n’éprouverons-nous aucun embarras à dire toute notre pensée.

Tout en approuvant et en louant sans restriction le gouvernement français de la marche qu’il a suivie en cette circonstance, et de sa note pleine de dignité et d’opportunité, quoi qu’en disent les journaux de toutes les oppositions, nous n’entendons pas dire que nos rapports avec la Suisse, depuis huit ans, aient été tout-à-fait ce qu’ils devaient être. M. de Rumigny avait su gagner la confiance des cantons démocratiques, M. de Montebello a pris peut-être d’autres appuis. La conduite des agens d’un gouvernement, à l’étranger, se dirigeant, en général, d’après des faits et des nécessités qui ne sont pas à la connaissance du public, nous ne nous croyons pas en droit d’émettre une opinion sur les motifs qui ont fait agir ces deux ambassadeurs. Ce qui nous est plus connu, c’est que nos rapports généraux avec la Suisse n’ont peut-être pas été toujours empreints, depuis huit ans, de cet esprit de mansuétude qui pouvait prévenir les difficultés du genre de celle qui occupe la diète en ce moment. Sans doute, le renvoi des troupes suisses et d’autres modifications survenues entre les deux états, depuis 1830, ont dû rendre les rapports moins faciles qu’ils n’étaient ; mais il paraît que le ton général des négociations a blessé quelques esprits qui en dirigent d’autres. Nous parlons librement de ces faits, parce qu’ils sont déjà anciens, et surtout parce que le ton de la dernière note du gouvernement français prouve que jamais la France n’a parlé un langage plus conciliant et plus modéré. D’un autre côté, les éloges que les démocrates suisses reçoivent de l’opposition libérale, chaque fois qu’une difficulté s’élève entre la France et les cantons, a pu les séduire. N’ont-ils pas pu croire que les gouvernemens étrangers ont toujours raison, et que la France a toujours tort, quand ils voient des journaux français vanter sans cesse, à nos dépens, la dignité, la force, l’énergie et la modération des autres puissances ? En lisant aujourd’hui ces journaux, comment ne pas croire que la Suisse est sublime en refusant d’obtempérer aux justes demandes de la France ? M. Kern ne doit-il pas se croire le premier orateur de l’Europe, en voyant toutes les louanges dont il est l’objet, et ne faudra-t-il pas à M. Monnard tout le sens qui le distingue, dit-on, quand sa passion ne l’excite pas contre la France, pour ne pas se regarder comme l’arbitre des deux pays ? C’est une jouissance si nouvelle pour un simple