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LIVINGSTON.

ne l’avait été naguère l’homme d’état. Sa correspondance, publiée en Amérique, permet de penser qu’il était entré trop tard dans une carrière qui exige tant de mesure et de patience dans ses procédés, et qu’il a été loin d’user de son ancienne amitié pour empêcher le général Jackson de recourir à un langage inusité entre gouvernemens amis, surtout lorsque d’un côté, s’il y avait une récente réclamation d’argent, de l’autre il y avait un vieux droit de reconnaissance.

M. Livingston ne survécut pas long-temps à cette mission. De retour en Amérique, il se retira dans sa terre de Montgoméry sur les bords de l’Hudson. Il s’y livrait depuis quelques mois aux plaisirs tranquilles de l’agriculture, lorsqu’il fut atteint par la maladie qui l’enleva. Ses derniers instans s’écoulèrent entre sa femme et sa fille, auxquelles il exprima ses sentimens d’affection, et ne montra qu’une sérénité pieuse. Il expira le 23 mai 1836, le jour et à l’heure même où il était né, d’après la bible de la famille.

À la nouvelle de sa mort, ses concitoyens sentirent qu’ils avaient perdu l’homme qui, par ses œuvres, faisait alors le plus d’honneur à leur pays. La république de Guatimala, qui avait adopté son code et donné son nom à sa capitale, décréta un deuil public de trois jours. Ces regrets et ces honneurs étaient mérités. Les hommes comme M. Livingston sont rares partout ; ils le sont bien davantage sur cette terre d’Amérique si jeune encore, plus favorable au développement des caractères qu’à la culture des esprits, qui produit des navigateurs audacieux, des colons entreprenans, des explorateurs infatigables, mais peu de ces admirables oisifs sortant de la foule pressée dans toutes les routes de la vie, pour se livrer à l’observation de la nature et de la société, en surprendre les secrets et les lois, et les communiquer à leurs semblables, auxquels le besoin de vivre ne laisse pas le temps de les découvrir.

Par la mort de M. Livingston, l’Amérique a perdu sa plus forte intelligence, l’Académie un de ses plus illustres associés, et l’humanité un de ses plus zélés bienfaiteurs.


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