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Derbend, située au midi de Tarki, est bâtie sur le penchant d’une montagne dont les racines vont se perdre dans la mer. C’est une ville considérable, habitée par des Tartares, des Arméniens et des juifs. Il y a, en outre, un certain nombre de fonctionnaires et d’officiers russes. Les Tartares de Derbend sont mahométans chiites, ainsi que tous les Persans qui, comme on le sait, regardent Ali comme le successeur légitime de Mahomet, tandis qu’Abou-Bekr, Omar et Osman sont à leurs yeux des usurpateurs. Les Tartares qui habitent au nord de Derbend, sont, au contraire, sunnites comme les Turcs et les Tartares de la Haute-Asie. Autrefois il n’y avait que des sunnites dans le Daghestan ; mais le chah Ismaïl, lorsqu’il s’empara des côtes occidentales de la mer Caspienne, les força d’adopter sa croyance : ceux qui s’y refusèrent furent punis de mort. C’est ainsi que Derbend, Bakou et les pays environnans furent convertis à la secte d’Ali.

Derbend est une ville très ancienne ; elle passe, parmi les Orientaux, pour avoir été bâtie par Alexandre-le-Grand, qui pourtant ne vint jamais jusque-là. On y trouve des monumens curieux des premiers temps de l’islamisme, et M. Eichwald s’y mit en quête de vieilles inscriptions koufiques pour un orientaliste de ses amis. Ce qu’il y a de plus remarquable, peut-être, c’est la double muraille qui descend depuis le haut de la ville jusqu’à la mer sur une longueur d’une demi-lieue. Cette muraille était destinée à défendre l’étroit passage qui se trouve là entre le pied du Caucase et la mer, contre les attaques des peuples du Nord, appelés Gog et Magog par les Arabes. De là vient le nom de la ville qui a pour racine le mot dar ou der dont la signification est porte. Les Turcs l’appellent Demir-Kapi, la porte de fer, et les Arabes Bab-al-Abwab, la porte des portes. La muraille de Derbend se prolongeait à l’ouest à partir de la citadelle, et on en trouve des restes à plusieurs lieues dans les montagnes : suivant les récits des Persans, elle s’étendait au moins jusqu’aux frontières de la Géorgie. Ces sortes de constructions n’étaient pas rares en Orient : sans parler de la fameuse muraille de la Chine, il y en avait une qui s’étendait depuis Bactres jusqu’à la mer Caspienne ; là commençait une autre muraille qui bornait au sud le Mazenderan, dont le nom signifie pays au dedans du mur. C’était probablement l’ouvrage d’un roi sassanide, peut-être du même Kosrou-Nouchirvan qui bâtit la muraille de Derbend. Derbend fut toujours considérée comme le boulevart de l’empire persan contre les peuples du Nord. Elle fut prise par Pierre-le-Grand en 1722 ; plus tard elle revint à la Perse. En 1766, le khan de Kouba la rangea sous sa domination. Ce puissant prince se mit sous la pro-