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MÉTAPHYSIQUE ET LOGIQUE D’ARISTOTE.

Le premier soin d’Aristote, quand il commence à écrire la Philosophie première, car tel est le titre qu’il destinait au livre qui depuis s’est appelé Métaphysique, est de caractériser les travaux de ses devanciers. Fidèle à la méthode historique dont il est, à vrai dire, le premier auteur, et dont nous avons déjà vu l’application dans le second livre de la Politique, il esquisse l’histoire de la philosophie, depuis Thalès jusqu’à Platon, avec cette simplicité précise et puissante dont Leibnitz et Hegel ont hérité chez les modernes. Les hommes ont un désir naturel de savoir, et le philosophe parmi les hommes est celui qui désire savoir les choses difficiles et peu accessibles à la connaissance humaine, c’est-à-dire les principes et les causes premières. La science des principes, c’est-à-dire la philosophie porta ses premiers regards sur la nature ; Thalès prit l’eau pour principe, Anaximène l’air, Héraclite le feu ; à ces trois élémens Empédocle ajouta la terre ; Anaxagore supposa une infinité de principes auxquels il donna pour origine première l’intelligence suprême. Ainsi même, par la physique, la philosophie, dans ses premiers développemens, aboutissait à la pensée. Dans un autre ordre, les pythagoriciens identifièrent les principes des êtres avec les principes mathématiques et ils firent du nombre l’essence de toutes choses. Après ces différentes philosophies parut Platon.

Ce n’est pas sans un plaisir secret qu’Aristote décompose les élémens dont s’était formée la doctrine de Platon ; il nous le montre se familiarisant, dès sa jeunesse, dans le commerce de Cratyle, avec les opinions d’Héraclite, et y prenant le principe qu’il n’y a pas de science des choses sensibles ; puis à l’école de Socrate, qui s’occupait exclusivement de morale et portait son attention sur les définitions, Platon conçut qu’il fallait appliquer les définitions à un ordre d’êtres à part et non pas aux objets sensibles ; il appela idées ces êtres à part, et enseigna que les choses sensibles existaient en dehors de ces idées et étaient nommées d’après elles. Les pythagoriciens disaient que les êtres étaient à l’imitation des nombres ; Platon se mit à dire qu’ils étaient en participation avec les idées. Ce n’est pas tout ; entre les choses sensibles et les idées, il reconnut les êtres intermédiaires qui sont les choses mathématiques, différentes des choses sensibles en ce qu’elles sont éternelles, et des idées en ce qu’elles admettent un grand nombre de semblables, tandis que toute idée en elle-même a son existence à part. Il fallait Aristote pour faire de la théorie platonicienne une description si exacte : et voilà où en était la science, quand le Stagyrite vint jeter les fondemens de sa philosophie première.