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COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

raire. Sous Louis XIV, une tragédie de Racine ou une oraison funèbre de Bossuet n’étaient pas une si grande affaire, et Voltaire a plus passé que Racine, Rousseau que Bossuet. Les hommes de lettres n’avaient pas le premier rang dans le monde ; c’est pour cela sans doute qu’ils l’ont conservé dans la littérature. Le naturel et la simplicité de leur vie est demeuré dans leurs ouvrages ; leur talent a la candeur de leur cœur. Boileau ne croyait pas du tout que l’art de faire des vers l’égalât à Louis XIV ou même aux ministres et aux grands seigneurs de la cour ; Auteuil n’était que la petite maison d’un poète ; on n’y médisait que des mauvais auteurs ; on y respectait Dieu et les puissances, et une question de théologie y paraissait bien plus sérieuse qu’une question de littérature. La Fontaine n’écrivait pas ses fables pour changer la société, quoique les bêtes qu’il fait parler donnent de si bonnes leçons aux hommes. Bossuet voulait être éloquent pour toucher et pour convertir, et se souciait bien moins de sa réputation que de son salut. La Bruyère, le censeur des ridicules et des vices, ne déclame jamais ; il ne s’érige pas en tribun ; il juge et il blâme comme un honnête homme qui veut corriger, s’il est possible, et non se faire une matière de triomphe personnel de l’amertume et de l’exagération de ses censures. Tous ces hommes-là, après Dieu et le roi, ne respectaient rien tant que les anciens ; ils les étudiaient au lieu de s’en moquer, et toute leur ambition était, non pas de les surpasser, quelle vanité ! non pas même de les égaler, mais d’en approcher du moins loin possible. La récompense de leur modestie est de n’être jamais tombés dans le faux et dans le déclamatoire ; voilà pourquoi ils sont et resteront les premiers.

Mais en littérature la seconde place est encore bien belle. Le dirai-je ? si les hommes du premier siècle ont plus de naturel, d’abandon, de grace, les hommes du second ont plus de force. Chez eux, la puissance de la réflexion est plus marquée ; ils doivent plus à eux-mêmes et moins au bonheur de leur naissance ; ils ont besoin d’appeler à leur aide tous les savans calculs de l’art ; on voit qu’ils ont la conscience bien claire de ce qu’ils veulent faire et de ce qu’ils font. Ils ont pesé davantage sur la route par laquelle ils sont parvenus ; on retrouve avec plaisir la trace de leurs pas, on devine le secret de leur talent, on surprend les artifices de leur génie ; on entre pour ainsi dire en partage de leur travail et de leur succès, et il y a un vif plaisir d’amour-propre à pénétrer si avant dans le mécanisme de leur éloquence. Cela même prouve leur infériorité sans doute, puisqu’ils ne désespèrent pas la vanité de celui qui les étudie ; mais cela est aussi