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un charme et une jouissance. Dans le second siècle, on aime les lettres pour les lettres ; on est amoureux de la parole pour elle-même, on l’assouplit à toutes les formes ; elle brille en traits délicats et fins, elle jaillit en passions tumultueuses, elle affecte un air grave et philosophique par sa concision, elle sait même imiter la grace par une sorte de négligence et de laisser-aller. C’est la poésie qui perd le plus dans le second siècle, parce que la poésie a besoin, avant tout, d’inspiration naïve et de vérité simple. La prose, à force d’art et de science, soutient mieux la comparaison ; quelquefois même elle a, dans le second siècle, une vigueur et une plénitude qui valent presque la simplicité et la sévérité des écrivains de la première époque. Tacite a de la recherche et du mauvais goût ; mais quelle énergie dans l’expression ! quelle majesté dans l’ensemble ! avec quelle science il dispose tous les traits d’un tableau ! Montesquieu est moins naturel que Bossuet ; mais quel habile usage de la langue ! quel relief il donne à sa pensée ! que de sens il enferme dans ses mots ! Pline le jeune est souvent faible, si on le compare aux écrivains du siècle d’Auguste ; mais quel amour naïf de son art ! quelle religion de la forme ! comme il se prépare quand il doit parler ! comme il corrige ce qu’il a écrit ! comme il parvient quelquefois à imiter heureusement, par l’étude des secrets du style, une éloquence dont la source vive est tarie !

Plût à Dieu que nous eussions conservé quelque chose, nous autres, de cet amour de l’art et de ce culte de la forme ! c’est ce qui nous manque, et c’est pour cela que si peu de nos œuvres échapperont à une infaillible et prompte mort. Voyez nos orateurs, ils brillent à la tribune ; mais, trois jours après, que reste-t-il de leurs discours ? c’est qu’ils n’ont pas étudié l’art ; c’est qu’ils ne font rien pour lui ; c’est qu’ils n’ont pas sans cesse devant les yeux, comme les anciens, le type de l’orateur. Que leur importe l’art ? Leurs amis leur serrent la main ; on les complimente, ils calculent tout bas de combien de degrés le succès d’un jour les rapproche du ministère : quelques beaux traits, quelques mots heureux, épars dans une profusion de paroles négligées, voilà ce qu’on appelle aujourd’hui un beau discours. Les orateurs anciens avaient l’art pour but principal, et comme hommes d’état pourtant, comme citoyens, ils ne le cédaient pas, je pense, aux nôtres ; aussi vivent-ils encore après vingt siècles passés sur eux, et la plupart des nôtres verront leur réputation s’éteindre avant eux. L’art n’est pas plus respecté dans nos livres ; nos livres eux-mêmes ne sont que des improvisations, et il n’y a que M. Villemain qui ait le talent de faire, avec ses improvisations, de bons et de durables livres. Nous