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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

le poisson, s’élevaient à une grande hauteur et fondaient avec tant de violence sur leur proie, qu’ils se brisaient la tête contre le métal ou enfonçaient leur bec dans la planche. Nos chasseurs les ramassaient, leur tordaient le cou, les jetaient dans un coin de la barque, et à peine avaient-ils eu le temps de les enlever, que d’autres oiseaux, témoins de la catastrophe de leurs compagnons, venaient se casser la tête de plus belle. Cet excès de gourmandise et de stupidité a fait donner à ces oiseaux le nom de fous. L’espèce dont je parle est le fou de Bass de Brisson ; c’est elle en effet qui couvre les rochers de Bass-Rock et de Saint-Kilda. On a calculé que chacun de ces oiseaux mangeait au moins cinq harengs par jour ; comme ils séjournent environ huit mois dans les Hébrides, et que leur nombre a été évalué à deux ou trois cent mille, ils consomment donc quatre à cinq cents millions de harengs dans la saison ; qu’on juge par là de l’abondance de ce poisson.

Le canot qui devait nous conduire à Iona n’était pas ponté ; mais la mer était belle, le vent faible, et le trajet n’était pas long ; nous nous confiâmes donc à l’adresse et à la vigueur de nos rameurs ; nous nous assîmes sur des fagots de bruyère dont le fond de la barque était rempli, et bientôt, à travers une brume légère, nous aperçûmes les côtes de l’île d’Iona et la haute tour de la cathédrale du couvent, dont le soleil couronnait le faîte d’une auréole enflammée.

Iona, l’île sainte, est fameuse entre toutes les îles de l’ouest de l’Écosse. Les descriptions qu’on nous avait faites de son extrême fertilité, de ses merveilleuses ruines et des mœurs patriarcales de ses habitans, avaient vivement frappé notre imagination, de sorte que nous éprouvâmes un grand désappointement lorsque, touchant le rivage sablonneux d’une petite île de deux ou trois milles au plus d’étendue et d’un aspect assez sauvage, nos bateliers nous dirent : « Nous voici à Hy-Colum-Kill, » nom populaire ou hébridien d’Iona. Cela dit, nos hommes nous prirent sans façon sur leurs épaules, car l’île n’a pas de port, et, marchant dans l’eau jusqu’à la ceinture, ils nous déposèrent sur une plage déserte que couvrait un lit de cailloux des couleurs les plus variées. « C’est la Baie des Martyrs, nous dit un de nos bateliers, c’est l’endroit où saint Columba ou saint Colum, le patron de l’île, mit autrefois pied à terre. Ces cailloux, ce sont les moines ses disciples qui les ont entassés sur cette plage. L’une des punitions que les abbés du couvent infligeaient aux moines qui avaient péché, c’était de ramasser ces pierres et de les rassembler en tas ; la quantité de pierres à ramasser était proportionnée au nombre des péchés que chacun d’eux avait commis. » Comme ces tas couvrent une grande étendue du rivage et qu’il en est de fort hauts, on doit naturellement conclure qu’il y avait autrefois, dans l’île, d’incorrigibles pécheurs, et que le nombre en était grand.

Tandis que nous attendions nos bateliers qui traînaient leur barque sur le sable, pour la mettre hors de la portée des vagues en cas de mauvais temps, nous vîmes accourir une troupe nombreuse d’habitans de l’île, tenant à la