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parle de sa situation qu’en termes ambigus. Le droit de bourgeoisie de Thurgovie est le seul qu’il possède, dit-il ; mais il ne déclare pas hautement qu’il a renoncé à sa qualité de Français. Ce langage équivoque n’est pas à la hauteur de la situation que voudrait se faire M. Louis Bonaparte, et nous devons lui dire qu’il y a bien loin de sa lettre à celle que Louis XVIII écrivit de Varsovie à Napoléon. Il n’est pas si facile qu’on le pense de prendre le langage et l’attitude d’un prétendant.

Le directoire fédéral sera-t-il moins sage et moins modéré que les feuilles dont nous venons de citer quelques passages ? Les rodomontades des radicaux suisses, copiées de celles qu’on adressait à M. de Bombelles, ambassadeur d’Autriche, quand il somma les cantons d’expulser les réfugiés qui s’étaient assemblés au Steinhalzli, seront-elles soutenues par le gouvernement de la république helvétique ? Les membres du directoire voudront-ils sanctionner l’injure adressée à la France par un faubourg de Zurich et par un hameau de Lucerne, qui ont choisi cette circonstance pour décerner la bourgeoisie à M. Louis Bonaparte ? La France peut bien ne pas se baisser pour regarder ces pygmées qui l’outragent, mais nous prévenons le directoire helvétique qu’il n’en serait pas ainsi de sa décision.

La Suisse occupe une place importante en Europe, mais uniquement à cause de ses voisinages. Elle peut livrer le passage vers notre frontière de l’est et nous découvrir depuis Mulhausen jusqu’à Lyon. Elle peut jouer le même rôle vis-à-vis de la Lombardie. La Suisse est donc tout pour ses voisins ; ses procédés à leur égard ont une importance double de celle des autres états, et entre la meilleure harmonie et une hostilité ouverte, il n’y a pas de milieu pour la France dans ses rapports avec la Suisse. Un système mixte serait tout-à-fait d’une fausse politique. La France doit faire sentir constamment à la Suisse les effets de sa bienveillance ou ceux de sa force, se faire aimer ou se faire craindre ; sa sûreté le veut ainsi. Les capitulations que faisait autrefois la France avec les cantons étaient, selon nous, d’une excellente politique ; tous les moyens de conciliation et de bons rapports doivent être employés, à défaut de ces conventions amicales qui ne sauraient plus avoir lieu aujourd’hui. Nous devons croire que ces moyens ont été tentés, et qu’ils le sont encore ; s’ils ne réussissent pas, le devoir du gouvernement français est tout tracé. Genève est à deux pas du fort de l’Écluse ; et de Bâle à Constance, qui est à quelques milles de Frauenfeld, la capitale de Thurgovie, il n’y a qu’une promenade militaire de deux jours, qui ne s’écarte pas de la ligne frontière.

Le directoire fédéral s’abuserait étrangement s’il se figurait, comme le disent chaque jour les journaux de l’opposition, que la France verrait de mauvais œil un acte de vigueur commandé par le sentiment de sa dignité. Nous avons sous les yeux plusieurs lettres de nos départemens. Toutes s’accordent à demander que la France ne subisse pas un refus injurieux. On a parlé des dommages qu’éprouverait le commerce. Le chiffre d’exportation des marchandises suisses, en France, dépasse de 2 millions celui des mar-