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là où elles espèrent faire quelque profit. Les unes pénètrent dans les maisons des riches, et sont admises à y faire preuve de leurs talens, pendant ou après le repas. Le chef des comédiens vient s’agenouiller devant le maître de la maison, et lui présente la liste des personnages de la pièce qu’on va jouer, de peur que le nom d’un brigand ou d’un niais ne se trouve être le même que celui d’un des convives ; auquel cas, la pièce est remplacée par une autre. L’urbanité chinoise est prévoyante, et pense à prévenir toutes les circonstances qui pourraient blesser un hôte. Ou bien la troupe s’établit sur une place publique : le théâtre est tôt dressé ; quelques planches posées sur des poteaux de bambou, quelques rideaux de coton en guise de coulisse, il n’en faut pas davantage pour assembler un grand nombre de spectateurs et former un parterre en plein vent.

On trouve donc chez les Chinois ce que M. Magnin appelle un théâtre aristocratique et un théâtre populaire. Le Hollandais Van-Braam parle de la différence de ces deux théâtres. Les pièces qui ont la première de ces destinations sont plus touchantes, plus sentimentales ; les autres, plus grossières et plus bouffonnes. La musique est, dans un cas, pleine de douceur, et, dans l’autre, ce n’est qu’un tintamare effroyable et discordant. Quant au théâtre hiératique ou sacerdotal, nous n’en voyons pas trace ; c’est qu’il n’y a pas en Chine de religion de l’état et de clergé véritable.

M. Medhurst[1] a bien vu dans le Chan-tung un théâtre adossé à un temple bouddhique ; mais cette association ne tenait à aucune intention religieuse ; car les temples servent fréquemment aux réunions des magistrats, et même font l’office d’auberges ou de caravansérails, pour loger les voyageurs.

L’origine du drame populaire doit remonter à une très haute antiquité. Les comédiens furent chassés de l’empire, dit l’histoire chinoise, dans le XVIIIe siècle avant Jésus-Christ. Dans le discours d’un ministre célèbre, sous la dynastie des Tcheou (de 1112 à 249), se trouvent ces paroles : « Le roi sait gouverner, quand il laisse aux poètes la liberté de faire des vers, qu’il permet à la populace de jouer des pièces, aux historiens de dire la vérité, aux ministres de donner des avis, aux pauvres de murmurer et de payer l’impôt, aux étudians de répéter tout haut leurs leçons, aux peuples de parler politique, et aux vieillards de trouver à tout des inconvéniens. »

Voilà donc, à cette époque reculée, la liberté de la scène populaire

  1. China, pag. 401.