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« Suivant les lois, je ne suis coupable que d’adultère, mon crime n’est point de ceux qu’on punit de mort. » Ce qui est le plus révoltant dans les discours des différens personnages de la pièce, c’est un sang-froid et un aplomb dans l’immoralité qui révèle une extrême corruption. C’est une mère qui, faisant allusion à l’infâme métier de sa fille, dit crûment : « Je ne puis me passer des habits et des alimens que me procure son industrie. » C’est un juge qui s’exprime en ces termes : « Quoique je sois magistrat, je ne rends aucun arrêt : qu’il s’agisse de fustiger quelqu’un ou de le mettre en liberté, j’abandonne cela à la volonté du greffier Tchao… Je ne demande qu’une chose, de l’argent, et toujours de l’argent, dont je fais deux parts, l’une pour moi et l’autre pour lui. » Sans doute, l’imperfection même de l’art dramatique est pour quelque chose dans la sincérité brutale de ces aveux. Il est plus aisé de faire dire à un homme : Je suis un misérable, que de montrer indirectement par ses actions et ses paroles les vices de son cœur. Mais on ne peut nier que cette ingénuité des passions viles et des sentimens criminels n’atteste une dépravation profonde et enracinée. Au reste, ce que les relations des voyageurs nous apprennent touchant les mœurs des grandes villes et la démoralisation de la classe des lettrés, s’accorde trop bien avec ce que peignent les pièces de théâtre et les romans.

Si l’Histoire du Cercle de Craie montre la nature humaine sous un jour peu flatteur, il est des drames chinois qui sont consacrés au développement du sentiment le plus généreux. De ce nombre est celui dont le Hollandais Van-Braam fut si charmé, et dont il a donné une analyse. C’est une œuvre sentimentale dans ce qu’on appelle, chez nous, le genre larmoyant ; ce sont des tableaux d’intérieur, des scènes de dévouement obscur ; on croit lire un drame de Kotzebue ou un roman d’Auguste Lafontaine.

Un lettré est appelé à la cour, quatre ou cinq ans se passent, et on n’entend pas parler de lui. Lassées de cette longue absence, ses deux femmes font le projet de quitter sa maison. Elles y laissent l’enfant de leur époux, et vont courir les aventures. Alors un vieux domestique et une vieille servante se chargent de l’enfant, et travaillent courageusement pour subvenir à son entretien et lui faire donner une éducation littéraire. Les deux serviteurs, éclairés par une petite lampe, prolongent dans la nuit leur pieux labeur.


« La toile se lève, et l’on voit le vieux Ataï très occupé à faire des sandales de paille, unique métier qu’il sache.