Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/774

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
770
REVUE DES DEUX MONDES.

FAN-SOU.

Elle sera avare de sa tendresse dans la crainte d’effacer sa beauté, et cette nuit avec vous…

PÉ-MIN-TCHONG.

Cette nuit, comment se conduira-t-elle avec moi ?

FAN-SOU l’interrompant, elle chante.

Ce mot était venu sur le bout de ma langue, véritablement je l’ai avalé.

En attendant sa belle, le jeune bomme récite une tirade de passion chinoise. Elle ne rappelle nullement la lettre écrite par Saint-Preux, dans la chambre de Julie. Mais on y trouve une certaine exaltation sentimentale et métaphorique qui montre que la Chine a ses Marini et ses Gongora. « Dans le temps de l’empereur Yao, il y avait dix soleils ; neuf tombèrent sous les coups de flèches que Y-heou sut adroitement lancer du haut du mont Kouen-lun. Il n’en resta qu’un seul, et ce fut vous, vous qui venez le matin et disparaissez le soir… Si vous vous irritez, soudain vous faites naître des nuages à l’orient et au midi, d’épais brouillards à l’occident et au nord… Perfide soleil, que ne suis-je Heou-tsi pour percer votre disque étincelant et vous faire tomber sur la terre ! »

Ce sont là de singulières imaginations d’amant. Bientôt arrive au rendez-vous la belle Siao-man, tout en grondant et même en battant un peu la pauvre soubrette qui l’y a entraînée. Mais voici la mère de Siao-man qui survient et se fâche, tance sa fille, la soubrette et le jeune lettré. Celui-ci, pour rétablir ses affaires, prend le parti d’aller au concours ; s’il revient avec le grade de licencié, quelle beauté rebelle, quelle mère intraitable pourrait lui résister ? C’est encore la soubrette qui l’y décide ; car, toute folâtre qu’elle est, elle sait, quand il le faut, parler raison.

Inspiré par son amour, le jeune homme a composé pour le concours un morceau dont l’élégance et l’éclat ne peuvent se comparer qu’aux rayons du soleil. Le président du conseil de magistrature en est si frappé, qu’il fait venir une respectable matrone qui porte le nom un peu bizarre d’entremetteuse des magistrats (il faut se souvenir que tous les mariages se font, à la Chine, par intermédiaire, et que la fonction d’entremetteur est aussi honorée que l’est le mariage lui-même). Le président ordonne à l’entremetteuse des magistrats d’arranger l’union de Siao-man et du tchoang youen ; c’est ainsi qu’on