Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/777

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
773
ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

de consolider la domination de la Russie sur la côte orientale de la mer Noire.

Voyons d’abord quelles étaient les forces des deux puissances belligérantes. Le comte Paskewitch d’Erivan, tel était le titre que lui avait donné son souverain après ses victoires en Perse, avait sous ses ordres une armée de 70,000 hommes, exercée et aguerrie par une guerre récente : ces troupes étaient dispersées dans les différentes provinces, mais elles pouvaient être facilement réunies. Une partie se trouvait en Mingrélie et en Imérétie ; une autre partie en Géorgie, dans la province d’Erivan, sur l’Araxe et en Perse ; la réserve était à Tiflis : le reste occupait le Daghestan et la ligne du Kouban, points qu’on ne pouvait dégarnir à cause des incursions des montagnards.

Les forces turques en Asie étaient tout autrement organisées. Il n’y a, pour ainsi dire, pas d’armée permanente dans cette partie de l’empire ottoman. Chaque pacha entretient un petit corps de troupes pour sa sûreté personnelle, et pour maintenir son autorité vis-à-vis des populations qui sont guerrières, courageuses, mais très peu soumises. Ainsi les pachas d’Akhaltzikhé étaient obligés depuis long-temps d’avoir à leur solde un corps de montagnards lesghis, et, dans les premières années de ce siècle, Redchid-Pacha, à qui le sultan avait donné le gouvernement de cette ville, ne put y entrer qu’après s’être soumis aux conditions qui lui furent imposées par les habitans. Chaque habitant des villes doit, au premier appel, se rendre tout armé sous les drapeaux : en revanche, il est libre de tout impôt. Quand une guerre éclate, toute la population doit y prendre part, et les beys sont convoqués avec tous les hommes placés sous leurs ordres. De cette façon on met promptement sur pied une armée imposante, mais qui n’est ni disciplinée, ni exercée : aussitôt que ces troupes sont rassemblées, elles reçoivent une paie du gouvernement. Du reste, presque tous les habitans de ces provinces sont de bons soldats, hardis, entreprenans, et accoutumés dès l’enfance au brigandage : tels sont surtout les Abases, les Lazes et les Kourdes. Dans la guerre de 1828, le pachalik d’Akhaltzikhé mit seul en campagne 27,000 hommes : on peut calculer, d’après cela, que les pachaliks de Kars, de Bayazid, d’Erzeroum et de Trebizonde, avec les villes d’Anapa et de Poti, purent fournir environ 100,000 hommes. Il faut compter dans ce nombre les garnisons des diverses places fortes qui en prenaient peut-être la moitié. Les Turcs, dans les différentes occasions, mirent sur pied de plus grandes forces, mais toujours quand il était trop tard ; en tout il n’y eut dans leurs mouvemens ni unité ni précision.