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en jouant sur le mot, Tasi moullah (Tasi veut dire chien). Leur crainte était fondée, car plusieurs des chefs du voisinage se préparaient à trahir : ils appelaient Khasi depuis long-temps et se déclaraient ouvertement en sa faveur. Derbend était sans communications avec le général Kokhanof, et le colonel Miklachewski s’était rendu dans le Chirvan avec une partie des troupes de la garnison. Les Akouches et les Avares étaient prêts à faire cause commune avec Khasi-Moullah, et Derbend était difficile à défendre à cause de ses deux longues murailles qui s’étendent jusqu’à la mer et du petit nombre d’hommes qui se trouvaient dans la citadelle. Bientôt les troupes de Khasi-Moullah, composées principalement de Lesghis, entourèrent la ville, brûlant et saccageant tout dans les environs. Il y eut entre les assiégeans et la garnison plusieurs combats dans lesquels les Tartares de la ville furent d’un grand secours pour les Russes. Les prisonniers faisaient des récits merveilleux sur Khasi-Moullah. « Après la consécration divine qu’il avait reçue, disaient-ils, il était allé à la Mecque, porté dans les airs sur son manteau : il était venu aussi, sans être vu, jusqu’aux murs de la ville, et partout où il paraissait, les masses se dispersaient devant lui. » — « Il prendra sûrement Derbend, ajoutaient-ils : ce matin même il est allé prier au bord de la mer, et Allah lui a ordonné d’attendre trois jours avant de donner l’assaut, parce que les péchés des siens ne sont pas encore expiés ; passé ce terme, il leur donnera la victoire. » Telle était la foi aveugle que Khasi-Moullah avait su répandre et entretenir. On eut peu après un exemple de la manière dont il s’y prenait pour agir sur l’esprit superstitieux du peuple : s’étant emparé de quelques enfans dans les jardins qui avoisinent Derbend, il leur fit beaucoup de caresses et leur donna des proclamations, adressées aux habitans de la ville, où il les sommait de se joindre à lui pour exterminer les infidèles ; puis il les renvoya à leurs parens. Il leur avait ordonné de placer adroitement ces proclamations dans les poches des habitans, afin que les gens superstitieux pussent croire que c’était Mahomet lui-même qui les y avait mises. Mais cette ruse lui réussit mal. Les enfans racontèrent l’ordre qu’ils avaient reçu de lui ; les proclamations furent remises au commandant de la ville ; la chose fut connue, et on se moqua du faux prophète et de ses miracles.

Le siége durait déjà depuis huit jours et personne ne venait au secours de la garnison ; les vivres diminuaient de plus en plus, les fourrages manquaient, le bétail et les chevaux mouraient ; on s’attendait à chaque instant à un assaut, lorsque tout à coup, un matin, on entendit crier sur les murs : Katchti, katchti (il est parti). Khasi-