Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/819

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
815
ASCENSION AU VIGNEMALE.

Pour économiser nos forces, nous devions nous servir de nos chevaux le plus long-temps possible. Au point du jour, il fallut les chercher dans la montagne, où ils avaient pâturé toute la nuit. Ce ne fut pas chose aisée, et ils firent tant de façons, qu’à six heures à peine étions-nous en route. Nous gravîmes d’abord le Cardal : vers sept heures, nous étions en vue du Plan d’Aube ; nous ne le traversâmes pourtant pas immédiatement, car un isard qui paissait auprès du port nous donna l’idée de l’approcher, et nous fit perdre en détours inutiles au moins trois quarts d’heure. L’animal rusé ne voulut pas se laisser joindre, et lorsque nous arrivâmes, après bien des circuits, tout essoufflés, au terme de notre stratégie, marchant à quatre pattes depuis long-temps, impatiens de lever la tête et de le voir enfin à portée de nos carabines, il n’était déjà plus sur le port ; il avait fui, sans égard pour nos précautions et nos manœuvres, dont pas une seule ne lui aurait échappé, s’il faut nous en rapporter à ceux de nos guides, qui ne l’avaient pas perdu de vue. Aussi serais-je presque tenté de ranger l’isard au nombre de ces déceptions parmi lesquelles l’ours des Pyrénées figure en première ligne.

Après avoir traversé le Plan d’Aube et être descendus en Espagne dans la vallée de Serbigliana, nous fîmes environ une demi-lieue encore en tournant vers la droite, et nous nous arrêtâmes au pied du Malferrat. Nous y laissâmes les chevaux sous la garde d’un de nos hommes. C’est là que devait commencer notre ascension, et il était impossible désormais d’aller autrement qu’à pied. Il faut dire, d’ailleurs, que nous avions rarement usé de nos montures, et, dès le matin de cette journée, nous cherchions, en nous mettant en haleine par une marche anticipée, à acquérir ce second wind si précieux des chevaux anglais. Je crois que nous y réussîmes, car jamais nous ne nous étions sentis plus frais et plus dispos, et c’est dans les meilleures conditions que, le 11 août 1838, à huit heures du matin, nous nous présentions au poteau du départ. Nous étions trois de plus qu’en partant de Luz : Jean-Marie, de Saint-Sauveur ; Bernard Guillembert, de Cèdres, et Baptiste, chasseur de Gavarnie.

Le hasard avait fait trouver, en 1834, à Cantouz, le chemin du Vignemale : une simple déduction, tirée de la conformation du Mont-Perdu, aurait été, ce me semble, pour lui, un guide plus sûr. Comme je l’ai dit, l’ascension de cette montagne si long-temps rebelle aux efforts courageux de Ramond, tant qu’il voulut l’attaquer du côté de la France, est très aisée du côté de l’Espagne. Pourquoi Cantouz n’avait-il pas tenté cette dernière voie plus tôt ? Il est vrai que le