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que ma présence vous a tout d’un coup donné le courage qui jusque-là vous avait manqué.

— Je n’ai jamais manqué de courage, reprit Naam, et vous qui m’insultez après de telles choses et dans un pareil moment, voyez le sang qui est sur mes mains ! C’est le sang d’un homme, et c’est le troisième homme dont moi, femme, j’ai pris la vie, pour sauver la vôtre.

— Aussi vous l’avez prise lâchement et comme une femme peut le faire.

— Une femme n’est point lâche quand elle peut tuer un homme, et un homme n’est point brave quand il peut tuer une femme.

— Eh bien ! j’en tuerai deux ! s’écria Soranzo, que ce reproche acheva de rendre furieux ; et cherchant son épée, il allait s’élancer sur Naam, lorsque trois coups violens ébranlèrent la porte du palais.

— Je n’y suis pas, s’écria Soranzo à ses valets qui étaient déjà levés, et qui parcouraient les galeries. Je n’y suis pour personne. Quel est donc l’insolent mercenaire qui vient frapper à une pareille heure de manière à réveiller le maître du logis ?

— Seigneur ! dit en pâlissant un valet qui s’était penché à la fenêtre de la galerie, c’est un messager du conseil des dix !

— Déjà ! dit Orio entre ses dents. Ces limiers de malheur ne dorment donc pas non plus ?

Il rentra dans sa chambre d’un air égaré. Il avait jeté son épée par terre en entendant frapper ; Naam, debout, les bras croisés dans son attitude favorite, calme et regardant avec mépris cette arme qu’Orio avait osé lever sur elle et qu’elle ne daignait pas prendre la peine de ramasser.

Orio sentit en cet instant l’insigne folie qu’il avait faite en irritant ce confident de tous ses secrets. Il se dit que, quand on avait réussi à apprivoiser un lion par la douceur, il ne fallait plus tenter de le réduire par la force. Il essaya de lui parler avec tendresse et l’engagea à se cacher. Il voulut même l’y contraindre quand il vit qu’elle feignait de ne pas l’entendre. Tout fut inutile, menaces et prières. Naam voulut attendre de pied ferme les affiliés du terrible tribunal. Ils ne se firent pas attendre long-temps. Devant eux toutes les portes s’étaient ouvertes, et les serviteurs consternés les avaient amenés jusqu’à la chambre de leur maître. Derrière eux marchait un groupe d’hommes armés, et la sombre gondole flanquée de quatre sbires attendait à la porte.

— Messer Pier Orio Soranzo, j’ai ordre de vous arrêter, vous et ce