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ASCENSION AU VIGNEMALE.

tiendrait l’honneur d’un calcul exact. À coup sûr, du Pic-de-Midi à la vallée d’Ossone il y a loin, et, si j’ose le dire, à ces grandes hauteurs les distances augmentent encore, ou plutôt la difficulté de s’en rendre bien compte. J’ignore avec quelle perfection sont établies les tables de réfraction employées par les astronomes, car je ne m’en suis jamais servi ; mais dans ces régions, à cause de la raréfaction de l’atmosphère, les observateurs se trouvent dans un cas particulier, et sujets à commettre des erreurs notables, s’ils n’ont pas en leur pouvoir les moyens de corriger les tables de réfraction calculées évidemment pour des milieux différens de ceux dans lesquels ils opèrent.

Quand nous arrivâmes en vue des neiges où nous devions nous frayer un chemin aussi fatigant que périlleux, nous vîmes un troupeau d’isards traverser lestement ces pentes glissantes et nous y indiquer notre route ; un cri que nous poussâmes et qui fut répété par vingt échos, les fit bondir et disparaître l’un après l’autre derrière les sommets que nous allions visiter. Nous ne rampions plus contre les parois des rochers, la scène s’élargissait ici pour nous, et nous avancions de front sur une longue ligne, choisissant à notre gré la place de nos pas. L’inclinaison des pentes augmente toujours jusqu’à la région des neiges. Nous marchions sur de larges surfaces calcaires dont quelques parties, lavées et polies par le travail des eaux, semblaient prêtes à entrer dans l’atelier d’un sculpteur. En nous dirigeant vers la gauche de l’arc immense formé par les parois de l’amphithéâtre, nous atteignîmes bientôt le pied du grand glacier. Là eut lieu une nouvelle halte, il fallut assujétir nos crampons, affermir et resserrer nos espardilles, mêler enfin du rum avec de l’eau de glace, et en emplir une bouteille, pour notre goûter du sommet, car la chaleur était extrême, et nous ne devions plus désormais trouver d’eau. Alors commença la marche la plus fatigante et la plus monotone qu’on puisse imaginer, sur ces neiges dont la blancheur nous éblouissait. À mesure que nous nous élevions, elles présentaient une inclinaison plus rapide et une surface plus ferme. Chaque guide, à son tour, marchant en tête, taillait dans la neige des degrés pour placer nos pieds. Nous avancions par file, les uns derrière les autres, et toujours en zig-zag, revenant sur nos pas quand nous rencontrions le rocher, et nous élevant à peine au-dessus de l’horizon de dix mètres à chaque fois. Une ascension directe eût été, d’ailleurs, impraticable. Cette manière de procéder assurait au contraire notre équilibre, qu’il eût été fort dangereux de perdre, sur-