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ASCENSION AU VIGNEMALE.

rêvé de si effrayant ; je n’ai point cherché à le mesurer, car c’est avec répugnance que j’y portais mes regards. En avançant vers le sommet du premier pic du Vignemale, le rocher se resserre comme le dos d’un toit, et l’on finit par marcher à califourchon sur une crête qui offre heureusement de nombreux appuis ; c’est là que la nature a posé un énorme mâchicoulis, que Cantouz nomme la cheminée du Vignemale, Par cette ouverture, une pierre abandonnée à son propre poids arrive dans la vallée sans avoir heurté nulle part.

— Mais nous grimperons donc toujours ? disais-je à mon guide ; j’ai les mains et les pieds déchirés ; il me semble qu’il est temps que cela finisse ! — Courage ! messieurs, répondait-il, mais ne marchez pas si près du bord ; dans quelques instans nous y serons.

Il avait dit vrai. Après quelques efforts désespérés, car plus nous allions, plus le Vignemale semblait se défendre, je touchai à la cime des rochers, et me trouvai alors devant une immense plaine de neige circulaire, cachant évidemment un entonnoir[1] colossal autour duquel s’élevaient quatre pics d’inégale grandeur, les quatre sommets du Vignemale.

— Maintenant, dit Cantouz, le plus difficile, le plus dangereux est fait ; et, si vous n’êtes pas trop fatigués, nous serons dans une heure au haut de ce pic que vous voyez là-bas de l’autre côté du glacier, car c’est là le sommet de la montagne.

Nous nous reposâmes un instant sur les bords de ce cratère de neige, afin de contempler des solitudes si étranges, des objets si nouveaux pour nous. Ces monstrueuses masses de glaces allaient évidemment aboutir du côté de l’est au glacier que l’on voit de la vallée d’Ossone. C’est dans cet endroit que Cantouz nous répéta l’histoire dont j’ai parlé plus haut. Mais nous n’avions pas de temps à perdre, et, par suite d’un effet d’optique dont je ne tardai pas à reconnaître l’illusion, le pic qui nous restait à gravir me semblait à lui seul une montagne, La crainte de manquer du temps nécessaire à nos observations barométriques, et surtout de ne pouvoir nous retrouver en bon chemin avant la nuit, nous fit hâter le pas et traverser rapidement la plaine de neige. Nous eûmes cependant la précaution de marcher en file et de tenir tous une corde à la main, afin qu’un de nous venant à disparaître dans une crevasse, put se retenir à la corde, soutenu par le poids et les efforts de tous les autres. David, mon domestique, fut le seul à qui cette précaution servit ; il avait déjà de la neige jus-

  1. Le Vignemale serait-il un volcan éteint, ainsi que la conformation de ces sommités semblerait l’indiquer ? Le voisinage des eaux thermales de Cauterets et de celles de Panticous donne quelque crédit à cette supposition, que ne justifie pas d’ailleurs la composition des éléments de la montagne.